«Recherches sur la lutte» — de Lettenhove, Kervyn

1833 ÉTUDES SUR L’HISTOIRE DU XIIIe SIÈCLE. RECHERCHES SUR LA PART QUE L’ORDRE DE CITEAUX ET LE COMTE DE FLANDRE PRIRENT A LA LUTTE DE BONIFACE VIII ET DE PHILIPPE LE BEL; PAR M. KERVYN DE LETTENHOVE. (Présenté à l’Académie royale de Bruxelles le 4 avril 1853. — Extrait du tom. XXVII des Mémoires.) Poichè la carità del natio loco Mi strinse, raunai le fronde sparte. (DANTE)

1833A Si le règne de Philippe le Bel occupe une place à part dans l’histoire de la France au moyen âge, c’est qu’à ce règne appartient la tentative à la fois la plus astucieuse et la plus hardie, pour s’affranchir de toutes les lois et de toutes les règles, soit qu’elles reposassent sur des liens sacrés, soit qu’elles dussent leur origine au droit traditionnel de la nation. En d’autres temps, la royauté avait noblement groupé autour d’elle tous les éléments de la vie politique, s’élevant et se fortifiant ellemême, en même temps qu’elle présidait à leur développement régulier et pacifique. Par une conduite toute différente, à la fin du XIIIe siècle, il semble qu’elle ne puisse être grande et forte qu’en s’isolant et en s’entourant de ruines. C’est ainsi que nous la 1833B verrons lutter contre la papauté pour ne reconnaître rien au-dessus d’elle, fût-ce un avertissement donné au nom de Dieu, puis combattre les grands vassaux, afin de ne plus trouver d’égaux à ses côtés, dût-elle rester seule pour défendre la France; et si elle protége le tiers état, c’est qu’elle ne craint point d’y chercher l’instrument de ses passions et de ses haines.

Gui de Dampierre, comte de Flandre, fut le représentant le plus éminent et le plus illustre de la 1834A résistance des grands vassaux. Celle de l’autorité religieuse fut revendiquée en France par l’ordre de Cîteaux; mais les phases diverses qu’elle traversa sont restées enveloppées de ténèbres profondes. Avant de citer comme objet principal de ces études, les nombreux documents inédits qui serviront à préciser les détails de cette double lutte, il faut s’arrêter un moment pour rappeler les relations qui, depuis longtemps unissaient la maison des comtes de Flandre, et la Flandre elle-même à l’ordre de Cîteaux.

Ces relations étaient placées dans tous les souvenirs sous le patronage du grand nom de saint Bernard. C’était saint Bernard qui était venu en Flandre choisir Robert de Bruges, comme le seul qui 1834B fût digne de le remplacer lorsqu’il aurait terminé sa féconde carrière: c’était saint Bernard qui avait proclamé qu’entre tous les grands vassaux le comte de Flandre était le soutien du royaume de France. Les Flamands avaient répondu à son appel, ceux-ci en se retirant dans le cloître qu’il avait fondé, ceux-là en mourant dans la croisade qu’il avait prêchée. Les princes eux-mêmes étaient entrés, sur les pas de l’abbé de Clairvaux, dans l’une ou l’autre de ces voies. Tandis que 1835A Thierri d’Alsace prenait la croix, un de ses neveux, nommé Albéron, devenait religieux dans l’ordre de Cîteaux. Ce fut à l’abbaye de Clairvaux que furent ensevelis le comte Philippe, mort au siége de Ptolémaïde, et sa femme, l’altière Mathilde de Portugal, qui ne lui survécut que pour voir les malheurs de la Flandre. Dans des temps plus glorieux, Baudouin offrit à l’ordre de Cîteaux le gonfanon impérial conquis sous les murs de Constantinople. Sa fille, la comtesse Jeanne, éleva un monastère du même ordre pour obtenir du ciel la fin de son veuvage, et ce fut sous l’humble habit des vierges de Cîteaux qu’elle rendit le dernier soupir. Ses aumônes avaient été si abondantes que, pendant sa vie, on commençait les travaux de la moisson à 1835B l’abbaye de Clairvaux, par de solennelles prières pour elle: son exemple fut imité par sa soeur Marguerite et par Gui de Dampierre, qui, prêt à partir pour Tunis, croyait ne pouvoir mieux appeler sur lui la protection du ciel.

Les grandes abbayes cisterciennes avaient rendu à la Flandre les bienfaits qu’elles tenaient de la générosité de ses princes. La laine de leurs troupeaux enrichissait le tisserand flamand, et en même temps elles imprimaient un rapide essor aux travaux de l’agriculture. C’était dans les dunes arides, dans les marais insalubres, comme l’indiquait le nom même de la plupart des monastères, qu’elles avaient fertilisé le sol et créé des sillons 1835C couverts de moissons. La science elle-même allait, sous la protection de l’ordre de Cîteaux, puiser aux sources fécondes de l’université de Paris, dans ce collége de Saint-Bernard, fondé par Etienne, 1836A abbé de Clairvaux, avec le concours de Marguerite de Constantinople, où la Flandre compta de célèbres docteurs qu’entouraient des disciples aussi zélés que nombreux. Avant tout, les moines de Cîteaux étaient frères du peuple par leur charité et leur dévouement. C’était à la porte de leurs monastères que se pressaient les pèlerins, les orphelins et les pauvres, et lorsque la sentence d’interdit descendait d’Arras ou de Tournay sur les villes et les campagnes désolées, c’était aussi au pied de leurs autels que les populations, gardiennes fidèles de la liberté politique, venaient chercher les consolations de la liberté religieuse et se préparer au combat par la prière.

Au mois d’octobre 1285, date de l’avénement de 1836B Philippe le Bel, nous sommes encore loin du moment où le roi de France confisquera violemment le comté de Flandre, et conduira au bûcher de la porte Saint-Antoine les chevaliers du Temple, agrégés à l’ordre de Cîteaux; mais déjà nous voyons poindre sur le trône cette insatiable avarice qui, selon le vers du poëte florentin, éteint dans le coeur de l’homme l’amour de tout bien.

Parmi les nombreux priviléges des monastères de l’ordre de Cîteaux, il en était plusieurs qui leur assuraient l’immunité des charges extraordinaires. Le Pape Innocent II les avait dispensés, à la prière de saint Etienne, troisième abbé de Cîteaux, du payement des dîmes ecclésiastiques, et ils avaient 1836C également obtenu la même exemption pour la dîme saladine. Leurs prières nous suffisent, disait Philippe-Auguste, prêt à s’embarquer pour la troisième croisade, puisqu’ils nous sont plus utiles par leurs 1837A prières que d’autres par leur or ou par leurs armes; néanmoins ce ne fut là qu’une exception. L’ordre de Cîteaux contribua généreusement, en d’autres occasions, au payement des taxes établies par le siége pontifical pour la délivrance de la terre sainte. Fidèle aux souvenirs de saint Bernard, il s’efforçait de réveiller le pieux enthousiasme de l’Europe, tandis qu’il envoyait des religieux encourager les derniers croisés en Syrie.

A peine Philippe le Bel était-il monté sur le trône qu’il reçut du Pape Honorius IV une dîme de quatre ans pour la guerre d’Aragon. La même dîme avait déjà été accordée à Philippe le Hardi, et il ne paraît pas qu’elle ait donné lieu à quelque plainte. Sous Philippe le Bel, il n’en est plus de même, et 1837B un sentiment de crainte et de méfiance qui semble s’inspirer de l’avenir, domine dans la lettre que l’abbé de Clairvaux adresse, vers le mois de janvier 1285 (v. st.), aux principaux monastères de l’ordre. Il’y raconte que l’abbé de Cîteaux et l’abbé de Pontigny se sont rendus près du roi, et qu’ils ont composé (composuerunt) relativement au chiffre de la dîme. Cette composition a été faite ad vitandum futura pericula, animarum dispendia, conscientiarum naufragia; mais, bien que fort onéreuse, elle n’a été obtenue qu’avec beaucoup de peine, non sine magnis laboribus et difficultate non modica; et l’abbé de Clairvaux en l’annonçant craint lui-même ne forte hujus, impositionis aliquatenus vos terreat tanta summa. La part d’un seul monastère (celui 1837C des Dunes), dans cette dîme, atteignait huit cents livres tournois, c’est-à-dire une somme quatre-vingts fois plus considérable que celle qui avait été demandée aux plus riches monastères de Flandre pour la croisade de Tunis.

La dernière année de cette dîme se leva en 1289. De 1289 à 1291, la confiscation des biens des marchands lombards, et d’autres mesures conçues dans le même but, occupèrent Philippe le Bel. En 1292, il se souvint qu’une bulle de Grégoire X avait accordé, dix-sept ans auparavaut, une dîme à son père, et il en prit prétexte pour adresser à l’ordre de Cîteaux des réclamations aussi vives que menaçantes. 1838A Les abbés de Cîteaux et de Clairvaux se rendirent à Paris, et y firent lire au collége de Saint-Bernard, en présence de deux docteurs flamands, Jean de Werden et Siger de Gulleghem, une protestation qui se terminait par un appel au Pape: Supponentes ipsos et ordinem suum et subjectos suos et bona sua beatorum Petri et Pauli et sanctae romanae Ecclesiae protectioni. Cet appel contre les usurpations de Philippe le Bel mérite quelque attention, parce qu’il fut interjeté dans la capitale du royaume: nous ne tarderons pas à en trouver un plus mémorable exemple.

En 1294, la guerre éclata entre le roi de France et le roi d’Angleterre, et une flotte ennemie vint semer la terreur depuis La Rochelle jusqu’à 1838B Bayonne. Cette fois, Philippe le Bel s’adressa humblement à l’ordre de Cîteaux (humiliter fecit supplicari), pour obtenir de sa libéralité une dîme de deux années, destinée à préserver ses monastères et ses biens des horreurs de la guerre. L’ordre de Cîteaux l’accorda, et il existe une charte de Philippe le Bel ainsi conçue:

Philippus, Dei gratia, Francorum rex, notum facimus universis quod, cum Cisterciensis, de Firmitate, de Pontiniaco, de Claravalle et de Morimundo monasteriorum abbates, pro se ac personis aliis monasteriorum et locorum aliorum Cisterciensis ordinis regni nostri, decimam suorum ecclesiasticorum proventuum nobis ad biennium integrum, in subsidium pro defensione et felici statu regni nostri, sub certis modis et conditionibus duxerint 1838C liberaliter concedendam, prout in eorum litteris inde confectis continetur, quarum tenor talis est: Excellentissimo principi domino suo Philippo, Dei gratia, Francorum regi illustrissimo, devoti ejus fratres Robertus de Cistercio, Rufinus de Firmitate, Symon de Pontiniaco, Johannes de Claravalle et Dominicus de Morimundo monasteriorum abbates Cisterciensis ordinis, Cabilonensis, Autissiodorensis, et Lingonensis dyocesum eorumque monasteriorum, etc., cum incrementis pacis et concordiae, successus prosperos ac felices. Ad publicam mundi notitiam a priscis temporibus jam pervenit, quod benedictum regnum Francorum prae caeteris mundi regnis hactenus extitit orthodoxae fidei munimentum et invincibile praesidium catholicae puritatis, in quo quidem regno vestro semper pax viguit, fides crevit catholica, et religio christiana, auctore Domino, 1839A felicia suscepit incrementa, et, exulata extra vestri regni terminos discordia, quae palmites suos tetendit usque ad maris terminos, suscipiet in futurum: ad cujus extirpationem sive exilium, necessarium fore credimus subsidium omnium, quibus dicti regni vestri tranquillitas maxime pacem reddat statum parum tranquillum ac securum. Hinc est quod nos abbates praedicti, regni vestri pacem et tranquillitatem affectantes, apud Divionem propter hoc specialiter congregati, diligenti deliberatione praehabita, providimus a nobis et ab omnibus monachorum monasteriis nobis subjectis, duntaxat in dicto regno vestro existentibus, fore subveniendum vobis ad dictae discordiae exulationem, prout necessitas evidens id exposcit, partem decimam omnium reddituum et proventuum omnium monasteriorum monachorum nostri ordinis in regno vestro existentium, propter dictam necessitatem, reddituum et proventuum duntaxat quae dicta 1839B monasteria in vestro regno percipiunt et consueverunt percipere et habere, et quae ab ipsis monasteriis percipi contigerit et haberi, sub certa tamen forma quam sedes apostolica hactenus observavit, vobis hac vice, per biennium et nomine nostri ordinis Cisterciensis, de speciali gratia concedentes, quae quidem pars decima per unumquemque nostrum, sive successores nostros, in generatione cujuslibet in regno vestro existente, infrascriptis terminis, in conscientiis nostris ac subditorum nostrorum, absque dolo vel fraude fideliter colligetur, cui fidei nostrae stabitur absque alia retractatione, penitus et expresse, ita quod medietatem ipsius in instanti Resurrectione Domini, et aliam medietatem in festo Omnium Sanctorum proximo subsequente quilibet abbas solvere teneatur . . . Nec vos, domine rex, per vos vel per alium de hoc aliquem compelletis . . . . . Et si, Domino inspirante, cui non est difficile disjuncta conjungere, pax regno vestro 1839C benedicto reddita fuerit, ex toto cessabitur a solutione partis decimae supradictae; si vero dicto tempore treugam super dicta discordia iniri contigerit, pro illo tempore quo treuga duraverit, antedicta solutio totaliter suspendetur: ita tamen quod propter solutionem hujusmodi vos dicere non possitis, nec debeatis, vobis jus acquisitum esse in futurum super subventionibus et subsidiis aut aliis, faciendis vobis aut concendendis a nobis aut nostris, quod per praesentes non intendimus concedere ullo modo.

On reconnaît aisément la rédaction des conseillers de Philippe le Bel dans le préambule de cette pièce: il manque entièrement dans le texte qui fut adressé aux abbés de l’ordre de Cîteaux, et les lignes qui le remplacent font mieux comprendre que cette concession fut volontaire, et que l’ordre e Cîteaux 1839D en dicta les conditions:

Venerabilibus et in Christo karissimis coabbatibus suis salutem, et cum sincera in Domino caritate, patientiam in adversis. Cum nuper ex parte excellentissimi principis Philippi, Dei gratia, Francorum regis, lamentose fuerit expositum, benedictum regnum Franciae inimicorum graves sustinere molestias et incursus, propter quos omnium nostrorum et subditorum nostrorum tranquillitas impugnatur, nobisque et nostris monasteriis minatur periculum 1840A ac ruinam, nisi dictis molestiis et incursibus occurratur, ad quae dicti regni vires parum sufficiunt, propter quod nobis fecit humiliter supplicari quod nos auxilium et consilium eidem adhibere curaremus ad extirpandas dictas molestias et incursus, quatenus, exulatis dictis molestiis et periculis, nos et subditi nostri pacis testamento, sicuti hactenus freti fuimus, frueremur: nos vero, attendentes dicta pericula imminere nobis et generaliter omnibus dicti regni, attendentes insuper per jacturam mercium dicti regis, quas quidem merces necesse habet exponere propter pericula supradicta, nostras salvas existere et personas, propter quae, secundum naturalis aequitatis rationem et sanctiones legitimas, debemus de bonis nobis a Deo collatis ad supportandum tantae molis pondus subvenire; quocirca apud Divionem specialiter congregati, de bonorum consilio, duximus ordinandum quod, etc..

Lorsque les Anglais eurent été repoussés, lorsque 1840B Gui de Dampierre, conduit prisonnier au Louvre, y eut laissé, comme ôtage, sa fille déjà fiancée au fils d’Edouard Ier, Philippe le Bel changea de langage. Ce n’était point assez qu’il eût promulgué comme loi somptuaire une ordonnance qui portait que quiconque possédait moins de six mille livrées de terre, serait tenu de remettre le tiers de sa vaisselle d’or et d’argent au roi, qui en déterminerait le prix. Ce n’était point assez qu’il eût proclamé lui-même l’alteration des monnaies, en chargeant ses successeurs d’indemniser ceux qui auraient à en souffrir. Tel était le besoin d’argent qui le pressait, comme il le dit lui-même, qu’il prescrivit la levée du centième, puis du cinquantième 1840C de tous les biens meubles et immeubles, sans aucune distinction entre les biens des cleres et ceux des laïes. Toute la France s’en emut, et le nom de maltôte, donné à cet impôt universel, est resté comme une énergique protestation de ceux qui le subirent.

Tandis que les évêques hésitaient, les uns parce qu’ils devaient tout à la faveur du roi, les autres parce qu’ils craignaient sa colère, ou parce qu’ils se voyaient réduits à des réclamations isolées, l’ordre de Cîteaux prit le premier la défense des immunités ecclésiastiques. Dans toutes les provinces, les abbés répondirent par un refus formel aux ordres des officiers royaux, et lorsque quelques évêques, requis par le roi, les menacèrent de les 1840D contraindre en vertu de leur autorité ecclésiastique, ils répondirent par une déclaration dont le texte nous a été conservé dans de diocèse de Tournay:

Coram vobis, reverende pater domine, Dei gratia, Tornacensis episcope, propono et dico quod, licet toti Cisterciensi ordini a sede apostolica sit indultum quod ipse ordo vel aliqui de ordine non teneantur ad onus alicujus repentinae ac extraordinariae decimae seu alterius exactionis, inhibitumque 1841A existat, per easdem indulgentias, monasteriis, personis et bonis ipsius ordinis de caetero hujusmodi decimam et exactionem, quocumque censeantur nomine, imponi seu exigi, sub quavis forma vel expressione verborum, ab eisdem, aut ipsum ordinem vel aliquos de ordine super illis aliquatenus molestari, ac per eandem sedem decretum, omnes suspensionis, interdicti seu excommunicationis sententias in dictum ordinem, monasteria, personas vel bona eorum propter hoc quacumque auctoritate latas, irritas et inanes ac viribus omnino carere, etiam si exactiones, collectae vel subsidia quaecumque a sede apostolica vel legatis ejusdem essent impositae, nisi per litteras sedis ipsius seu legatorum ejus, facientes plenam et expressam de indulgentia hujusmodi mentionem, quaeque personae ipsius ordinis aut ordo ipse vobis non subsint per sedis praedictae privilegia, etiam ratione delicti, nisi pro fide dumtaxat, absque mandato sedis apostolicae speciali: nichilominus tamen vos personas 1841B Cisterciencis ordinis praedicti, abbates videlicet, abbatissas et quascumque alias personas per vestram dyocesim monuistis seu moneri fecistis de facto, cum de jure non possitis, super solvenda centesima, contra supradictas indulgentias indebite veniendo, in quam centesimam, vel quotam quamcumque aliam, dicti Cistercienses, sicut ad ejusdem impositionem auctoritate vestra vocari non poterant nec erant vocati, ita nec consenserant nec consentire poterant: quare ego, cum praedictos Cistercienses dominos meos in praemissis omnibus et singulis sentiam esse indebite pergravatos, timens etiam, ex probabilibus causis et verisimilibus conjecturis, ne contra Cistercienses dominos meos, eorum ecclesias atque loca, et adhaerentes eisdem et quoslibet adhaerere volentes, aliquo modo procedatur indebite et de facto, ob praemissa gravamina omnia et singula, et ne contra ipsos indebite et de facto procedatur in aliquo, ut 1841C est dictum, contra vos, domine reverende pater, Dei gratia, Tornacensis episcope, et omnes et singulos quos tangit vel tangere potest praesens negotium, nomine procuratorio et nomine praedictorum Cisterciensium dominorum meorum, ecclesiarum suarum seu locorum, et adhaerentium seu adhaerere volentium eisdem, ad sedem apostolicam, prout possum et debeo, in hiis scriptis provoco et appello, et appellationes, prout debeo, cum instantia qua convenit michi dari et concedi peto, supponens ipsos Cistercienses dominos meos, eorum ecclesias, loca atque bona, adhaerentes seu adhaerere volentes eisdem, et ipsorum omnem statum et bona, protectioni sedis apostolicae.

Que l’ordre de Cîteaux ait compris la gravité de la situation en s’opposant ouvertement aux volontés de Philippe le Bel; qu’appelé à choisir entre le devoir 1841D qui parlait à sa conscience et le péril qui menaçait ses personnes et ses biens, il ait courageusement préféré le péril, on ne peut en douter: il trouvait dans sa propre histoire de mémorables exemples auxquels il ne pouvait qu’être fidèle.

Lorsqu’en 1128 le roi Louis VI persécuta injustement l’archevêque de Sens, l’abbé de Cîteaux 1842A convoqua une de ces saintes assemblees de l’ordre d’où s’élevait, disait-on, une colonne de lumière jusqu’à Dieu, et tous les abbés, apposant leurs sceaux à une lettre qui avait été rédigée par saint Bernard, supplièrent le Pape Honorius III de faire entendre sa voix pour la liberté de l’Eglise.

En 1296, la même marche fut suivie. Un chapitre général fut convoqué. Saint Bernard eût pu y répéter: Alter Herodes Christum jam non in cunabulis, sed in ecclesiis invidet exaltatum. On répondit d’abord à la monition qui avait été adressée par un prélat ami du roi, que nous croyons avoir été Pierre Barbet, archevêque de Reims: dans ce mémoire, qui mérite d’être reproduit, l’ordre de Cîteaux, après avoir déclaré qu’il est prêt à se soumettre 1842B à toutes les taxes qui seraient établies à raison de ses biens ou pour la défense de la patrie, repousse énergiquement les impôts extraordinaires que le siége pontifical n’a pas approuvés:

Jura, dicunt, maxima dona Dei hominibus a superna clementia sunt collata: sacerdotium videlicet et imperium. Istud praeest divinis, imperium autem humanis praesidiis. Alibi vocantur duo luminaria magna, sicut sol et luna, et sicut aurum est pretiosius plumbo, et sol luna nobilior, ac divina terrenis nobiliora seu digniora, sic sacerdotalis dignitas excedit regalem, et minor non habet judicare majorem nolentem et invitum. Rex ergo sacerdotes invitos et renuentes, cum suo imperio non subsint, ad subventionem compellere non habet, cum res ecclesiasticae sint mortificatae et a temporali jurisdictione exemptae et dicta subventio 1842C naviter sapiat decimae, de quibus rex se non habet intromittere. Pro hiis inducuntur jura in Authent. collat. 1a circa pr. extra. De major. et obed.; extra. de dec. tua, ff. De jurisdictione omnium judicum; lege Est receptum. Praeterea filius magis tenetur patri quam subditus principi, sicut lex dicit quod filius non tenetur patrem alimentare, si pater in bonis habeat unde possit alimentari, cum tamen alimentatorem causa sit valde favorabilis. Ergo minus tenetur subditus principi, nisi prius facultatibus principis excussis: propter hoc inducatur lex ff. De lib. agricolarum, lege Si quis alimentatorum. Praeterea viri ecclesiastici ad impositionem non sunt obligandi, quia id possumus quod commode possumus; sed, si tantum onus impositum a domino rege subire tenerentur, nec incurrerent transgressionem juramenti, quia multis creditoribus tenentur religionis juramento quibus satisfacere non possent et lex dicit: Si dominus in perjurium incidit, quia dare non valeat quod juraverat, si vassallus eum sua 1842D pecunia liberare possit et non faciat, feodum amittere debet: et sicut vassallus tenetur domino, ita dominus vassallo. Rex ergo suos feodales saltem a vinculo juramenti, quo sunt constricti, sua pecunia liberare debet cum possit, aliter jura subjectionis amittere debet. Ad hoc inducuntur jura ff. de consilio et ob. si nepos 22, q. 5, De for. competent, extra. Nisi. Praeterea, si ad dictam subventionem 1843A tenerentur sacerdotes et clerici, conferrentur caeteris hominibus deterioris conditionis, et sequeretur expugnabile vitium quod sub rege christianissimo sacerdotes durius tractarentur quam sub rege Pharaone, sub quo, omnibus servituti subjectis, soli sacerdotes et eorum bona erant libertate donati, extra. de immunitate . . . Praeterea, si talis exactio nova debeatur et posset fieri aliquo modo, nullatenus posset fieri summo pontifice inconsulto. Probatur lege quae dicit: Si adeo tenuis sit patria quod auxilio extraordinario indigeat, praeses provinciae, diligenter audiens utilitatem communem, referet principi auctoritate cujus auxilium extraordinarium debet ordinari, sic in rebus ecclesiasticis nova exactio statuenda non est inconsulto summo pontifice, c. Nova vectigalia institui non posse lege prima, extra. de immunitate ecclesiae; cod. adversus, etc. Si ad talem subventionem per angariam ecclesiae teneantur, pauperes erunt desolati. Praeterea cum munera quaedam sunt sordida, quaedam honesta, 1843B ab omni sordido immunis est ecclesia. Honestorum quaedam sunt ordinaria, quaedam extraordinaria. Ad ordinaria munera ratione rerum vel patrimoniorum tenetur ecclesia. Ab istis nemo se excusat, c. A quibus muneribus vel praestationibus nemini liceat se excusare, lege secunda libro decimo. Alia autem personalia vocantur angaria vel parangaria, ad quae personae ecclesiasticae non tenentur nisi ad murorum vigilias, c. De episcopis et clericis, lege Omnis qui . . . Ad extraordinaria, quaecumque sint illa, sive pertineant ad publicam utilitatem, sive pietatem vel voluntatem, non tenetur ecclesia, nisi auctoritate summi pontificis sint indicta, quia ista sunt supradicta, quae semper sunt prohibita nisi accedente principis voluntate, c. De superindictis lege prima libro decimo, extra. De immunitate ecclesiarum, l. Adversus. Quaedam tamen munera necessitatis et pietatis excipiunt legistae ad instructionem bonorum, redemptionem captivorum, et dicunt quod 1843C ad hoc tenetur ecclesia. Haec tamen videntur immutata per capitulum 16, q. 1. Ab hiis omnibus subventio ecclesiis auctoritate regia imposita multum est aliena. Quibus rationibus et aliis, quas suppleat vestra paternitas reverenda, petimus et supplicamus nos abbates, nostro et ecclesiae nostrae nomine, quatenus supplicetis magistratibus regis, cui semper fuit magnum studium unitatem apostolicae sedis et sanctarum Dei ecclesiarum custodire, ut a tanto onere superinducto ecclesiis nostris desistat penitus et quiescat, nec nos ad id compellatis, sed totaliter desistatis, quia sine auctoritate et mandato summi pontificis, cujus sunt penitus bona nostra, monitioni et petitioni vestrae parere non possumus, nec debemus, nec etiam consentimus, imo, in quantum de jure possumus, contradicimus, ne de negligentia, perjurio et inobedientia valeamus dampnabiliter reprehendi.

1843D Le chapitre de Cîteaux osait dire à l’archevêque de Reims que Philippe le Bel se montrait plus dur que Pharaon: il le répéta dans la mémorable protestation qu’il adressa à Rome.

Le pape Alexandre IV avait autrefois rendu un pompeux témoignage du zèle religieux des abbés de lordre de Cîteaux et de leur dévouement au siége pontifical: Inter innumeras mundani turbinis tempestates, quas contra ecclesiam Dei et nos ipsos ferventis prosecutionis procella commovit, disait-il dans 1844A une bulle qu’il leur adressa, magnum nobis est praestitum, Deo providente, remedium, cum universitatis vestrae ferventissima charitas nec pericula timuit, nec adminicula denegavit. Meminimus plane et cum omnium gratiarum actione recolimus quam inviolabili firmitate fluctuantem Petri naviculam fidei vestrae anchora servavit in turbine.

Les premières lignes du manifeste de l’ordre de Cîteaux, en reproduisant la fin de cette bulle, rappelaient les services qu’il avait rendus à Alexandre IV, et la reconnaissance que le Saint-Siége en avait exprimée.

Sanctissimo patri ac domino Bonifacio, Dei gratia, summo pontifici, abbates, abbatissae, conventus, canonici, presbyteri ac totus clerus regni 1844B Franciae pedum oscula beatorum et feliciter sancti Petri naviculam in maris fluctibus gubernare.

Cum secundum apostolum omnes stabimus ante tribunal superni judicis, qui latentia producet in lucem et illuminabit abscondita tenebrarum, vitae aeternae aut dampnationis perpetuae praemium recepturi, in cujus praesentia non solum homines, sed etiam angeli trepidabunt, quod memoriae cujuslibet debet occurrere christiani, multi tamen principes, hujus mundi dilectores, praedicti judicii memores non existunt, rebus mundanis nimium inhaerentes; quod patenter apparet, cum ipsi non solum personis secularibus quibus praesunt, sed etiam ecclesiis et ecclesiasticis personis, quas defendere totis viribus et non regere interest laycorum, cum eis super hiis nulla sit attributa facultas nec auctoritas imperandi, tot gravamina et onera imponunt, quod deterioris conditionis factum sub eis sacerdotium 1844C videatur quam sub Pharaone fuerit, qui legis divinae notitiam non habebat: ille quidem, omnibus aliis servituti subactis, sacerdotes et possessiones eorum in pristina libertate dimisit ac eis de publico alimoniam ministravit; moderni vero principes onera sua fere imponunt ecclesiis universa, et tot angariis clericos affligunt ut eis quod Jheremias deplorat competere videatur: Princeps provinciarum facta est sub tributo; sive quidem decimas seu alia quaelibet sibi attrahentes de bonis ecclesiarum, clericorum et pauperum, Christi usibus deputatis, jurisdictionem etiam et auctoritatem eorum taliter evacuantes ut eis videatur nihil potestatis super ecclesiis vel personis ecclesiasticis remansisse, quod de jure facere non deberent, ubi laycorum etiam non suppetunt facultates, cum ipsi humiliter et devote recipere debeant cum gratiarum actione, quae eis pro communi utilitate de bonis ecclesiae conferuntur, prius tamen interveniente romani pontificis consilio, cujus interest 1844D communibus utilitatibus providere, quod minime faciunt, sed quod eis per potestatem concessum est, in cleri injuriam ac in pauperum penuriam faciunt redundare. Et cum multi consules principum, tam clerici quam alii, propriae prudentiae innitentes et humanam amittere gratiam formidantes, eis recta loqui libere pertimescunt, qui quoque similitudinem quamdam potius quam veritatem discernunt, magis utilia reticentes, cum similitudinarium sit expressivum veritatis, et quasi sicera inebriati et uvam acerbam comedentes, minus cauta discretione exponunt illud quod dantur omnia servitio principis et ei omnes obediant subditi et 1845A clerici, et qui principi non obedierit morte moriatur, sensum alienum extrinsecus et extraneum requirentes, non considerando quod tanta inter reges et pontifices quanta inter solem et lunam distantia cognoscatur, et constitutiones principum constitutionibus ecclesiasticis non praeeminent, et imperiali judicio non possunt jura ecclesiastica dissolvi, cum ipsi non solum personas ecclesiasticas seculares, sed etiam Domino Deo dedicatas, in venea Domini Sabaoth laborantes, decimis ac aliis diversis exactionibus nunc affligunt, bona Crucifixi pauperibus et Domino servientibus deputata suis usibus applicantes, ita ut bona ecclesiae victui Domino servientium non valeant providere, cum denario fraudari non debeant in vinea Domini operantes, postpositis etiam eleemosynis pauperibus erogandis, cum non debeant officere qui hujus iniquitatis participes non existunt, et quia praedicti consules pseudoprophetae dici possunt, cum scripturarum verba aliter accipiunt 1845B et exponunt, quam sacra Scriptura sonat, qui conjectura mentis suae cuncta futurorum quasi vera pronuntiant absque divinorum verborum auctoritate, illa consideratione non servata ut in hiis quae dubia fuerint aut obscura, id noverint exequendum quod nec evangelicis praeceptis contrarium, nec decretis sanctorum Patrum invenietur adversum, et cum tales qui praeeunt propter favorem principum excaecati fuerint et aliis ducatum praestare coeperint, ambo in foveam dilabuntur, unde Psalmus: Obscurentur oculi corum ne videant, etc., dorsum eorum semper incurva, etc., et quia, pater sanctissime, nullus pro justitia hodie martirizari desideratur, sed potius labore postposito triumphari, cum tutius sit in tempore occurrere quam post carnem vulneratam remedium quaerere. Hinc est quod sanctitati vestrae, de qua id quod sumus et erimus cognoscere volumus, supplicamus, cum omni affectione qua possumus et desiderio puri 1845C cordis, quatenus huic morbo pestifero vestrae gratiae ac potestatis subsidia porrigatis, sine quibus status diu stare non poterit clericalis, qui nunc per mundum titubando graditur universum, cum nullus audeat pro defensione ecclesiae voce libera hujus mundi potestatibus contraire, licet pastoribus recta timuisse dicere nihil aliud est quam terga tacite praebuisse ac pugnam pro domo Israel in praelio Domini evitasse, quos Dominus increpat per Isaiam: Canes muti non valentes latrare. Vivat ac valeat 1846A vestra sanctitas reverenda, nobis et Christi pauperibus in praedictis aliquod remedium salubre conferendo cum libent Domino prospera, qui ab afflictis pellit adversa, ut sub ala vestrae protectionis possimus, ut cupimus, respirare, ac umbram sentiamus gratitudinis et quietis, ut in pace viventes pacis auctorem laudemus, una voce dicentes: Gloria in excelsis, etc., qui per suam gratiam manum porrigit lapsis, indigentes fovet et afflictos moestitia consolatur.

Un ancien religieux de l’ordre de Cîteaux, le cardinal Simon de Beaulieu, évêque de Palestrine, remplissait alors en France les fonctions de légat du Pape. Il requit, en vertu des pouvoirs dont il était investi, les archevêques de Reims, de Sens et de Rouen, de convoquer un concile à Paris, le 22 juin 1296.

1846B Les archevêques de Reims, de Sens et de Rouen, n’osèrent pas, quel que fût leur zèle pour la cause du roi, désobéir à un ordre aussi solennel que s’il fût émané du Pape lui-même, et ils reproduisirent dans les lettres de convocation du concile les paroles non moins tristes qu’amères que Simon de Beaulieu avait insérées dans ses propres lettres. Cependant, l’influence des trois primats de la France septentrionale s’exerça sur les évêques dont la plupart étaient leurs suffragants. Les députés qui furent choisis dans l’assemblée qu’ils présidaient, pour porter à Rome les plaintes du clergé, étaient les évêques de Nevers et de Béziers, qui soutenaient avec le même zèle les intérêts du roi, et une lettre écrite dans le diocèse de Bourges, qui avait alors 1846C pour archevêque le célèbre Giles Colonna, l’auteur du traité De regimine principis, nous apprend que le 28 août les deux prélats n’avaient pas quitté la France.

Avant que les évêques de Nevers et de Béziers fussent arrivés à Rome, Boniface VIII, qui occupait depuis un an le siége pontifical, fit droit aux 1847A plaintes de l’ordre de Cîteaux, en frappant d’interdit l’archevêque de Reims, et en publiant, le 18 août 1296, la célèbre bulle: Clericis laicos, que nous trouvons reproduite dans le livre des priviléges de l’ordre de Cîteaux. On sait que Boniface VIII y prononçait l’excommunication des clercs qui payeraient les dîmes sans l’assentiment préalable du Pape, et la bulle Clericis laicos fut confirmée par la bulle: Ineffabilis amoris, où Boniface VIII reprochait au roi de France d’avoir perdu un bien précieux, c’est-à-dire l’amour de ses sujets, et annonçait qu’il était prêt à souffrir les persécutions, l’exil et même la mort pour la liberté de l’Eglise.

La réponse de Philippe le Bel commençait par 1847B ces mots: Antequam essent clerici, rex Franciae habebat custodiam regni sui, et ce qui suivait était digne de la violence de cet exorde: Dare histrionibus et neglectis pauperibus expensas facere superfluas in robis, equitativis, comitativis, commessationibus et aliis pompis secularibus permittitur eisdem, imo conceditur ad perniciosae imitationis exemplum. Quis judicaret licitum sub anathemate cohibere ne clerici, ex devotione principum incrassati, impinguati et dilatati, eisdem principibus assistant? L’ordre de Cîteaux, à qui semble se rapporter cette véhémente attaque, aurait pu rappeler que lorsque des famines cruelles désolèrent la France, les pauvres, loin d’être abandonnés, avaient dû la vie aux généreuses 1847C aumônes des abbayes cisterciennes.

Du reste, Philippe le Bel ne se reposait pas uniquement sur ces diatribes. Ses intrigues étaient allées réveiller les discordes assoupies de l’Italie, et à quelques jours de distance, l’on vit Frédéric d’Aragon expulser les légats du pape de la Sicile, et les Colonna avouer hautement le projet de chasser le Pape lui-même de Rome.

Si Boniface VIII avait jadis appelé de ses voeux ambitieux le jour où la tiare passa du front de Célestin 1848A V sur le sien, il expia sévèrement des fautes antérieures à son pontificat par toutes les épreuves qu’il dut subir pour le conserver. L’inquiétude et la crainte s’étaient emparées de cette âme naguère si fière: un langage faible et incertain, dicté par la politique, avait succédé à des protestations qu’une foi intrépide rendait si éloquentes. Il faut le dire tristement: Boniface VIII était réduit, pour ne pas voir son autorité renversée en Italie, à l’abaisser et à l’humilier en France, et dans cette réconciliation avec Philippe le Bel, conclue comme une nécessité, les médiateurs qu’il acceptait étaient précisément ces évêques que l’acte d’appel de l’ordre de Cîteaux appelait · Clerici, consules principum, humanam amittere gratiam formidantes, 1848B et qu’il avait flétris à son tour en les nommant dans la bulle Clericis, laicos: nonnulli praelati plus timentes majestatem temporalem offendere quam aeternam.

Vingt-trois prélats dévoués à Philippe le Bel (le premier était l’archevêque de Reims, qui venait de reprendre possession de son siége; les autres étaient les archevêques de Sens, de Narbonne, de Rouen, les êvêques de Beauvais, de Laon, de Châlons-sur-Marne, de Langres, d’Amiens, de Tournay, de Térouane, de Senlis, d’Auxerre, de Troyes, de Chartres, de Nevers, d’Avranches. d’Evreux, de Lisieux, de Coutances, de Dol et du Mans) avaient écrit au Pape pour lui faire connaître qu’ils étaient tenus la 1848C plupart par l’hommage, et presque tous par serment, de défendre l’honneur du roi. Ils avaient choisi entre eux des députés chargés de lui exposer qu’ils voyaient le roi obligé par le soin de son honneur et la conservation de son royaume à de grandes dépenses, et qu’ils désiraient lui venir en aide en lui accordant une subvention. Boniface VIII s’empressa d’y consentir par la bulle: Coram illo fatemur, où il se plaignait vivement de la défection du comte de Flandre, et où il offrait pour la défense des droits du roi de France les biens de 1849A l’Eglise et sa propre personne. Une autre bulle, la bulle: Romana mater, adressée à Philippe le Bel, lui annonçait que rien ne s’opposait à ce que le clergé lui accordàt librement un subside. Le subside étant permis, on comprend aisément qu’il fut offert et accepté, et, de son côté, Philippe ne défendit plus d’envoyer à Rome l’argent recueilli en France pour l’entretien de la chambre apostolique, argent dont Boniface VIII avait grand besoin.

Dès ce moment, la réconciliation du pape et du roi de France est compléte.

Le 15 mai 1297, Boniface VIII permet aux évêques dont nous avons déjà cité les noms de lever, au profit du roi, aux fêtes de la Pentecôle et à la Saint-Remy, une double dîme de tous les revenus 1849B ecclésiastiques, auctoritate ecclesiae, non invocata potentia bracchii secularis, et voici quel est le préambule de cette bulle que nous croyons inédite:

Pridem ad nostram notitiam pervenit, vestris referentibus litteris, quas nobis communiter destinastis, quod, nephanda hostis antiqui procurante nequitia, qui quaerit ut noceat, semper circuit ut offendat, christianissimi regis Francorum status turbationis multiplicis jactabatur fluctibus et intestini criminis gravi turbine quassabatur, tanto nos arctius doloris proinde aculeus pupugit, majorque turbatio nostri pectoris archana commovit, quanto regnum ipsum specialius gerimus in visceribus caritatis, et potiori desiderio ducimur ut illud prosperis successibus affluat finat et votivis eventibus fulciatur.

1849C Le pape permettait l’emploi des censures ecclésiastiques pour contraindre au payement de cette dîme, et elle fut, en effet, exigée dans le diocèse de Tournay sub poena suspensionis et excommunicationis.

Boniface VIII va plus loin encore, le 31 juillet 1297, dans la bulle: Etsi de statu regni, où il déclare que rien ne s’oppose à ce que le roi de France réclame des subsides ecclésiastiques sans l’assentiment préable du pape, s’il s’agit de la défense du royaume: quin rex possit a praelatis et personis ecclesiasticis petere subsidium vel contributionem, inconsulto romano pontifice, non obstantibus constitutione praedicta seu quolibet previlegio; et une 1849D bulle spéciale désigne l’archevêque de Rouen, l’évêque d’Auxerre et l’abbé de Saint-Denis comme exécuteurs de la dîme, en permettant cette fois l’intervention de l’autorité séculière contre les prélats et les personnes ecclésiastiques qui ne se soumettraient 1850A point: quatenus praelatos et ecclesiasticas personas ad hujusmodi subsidium exhibendum auctoritate nostra, spiritualiter et temporaliter, prout utilius expedire videritis, appellatione postposita, compellatis, invocato ad hoc, si opus fuerit, auxilio bracchii secularis

Enfin, le 9 août 1297, une bulle qui commençait par ces mots: Meruit sincera devotio quam karissimus filius noster Philippus rex Francorum illustris erga romanam ecclesiam gerit, accorda au roi de France une année du revenu de tous le bénéfices vacants.

Philippe le Bel reconnut ces importantes concessions de Boniface VIII, non-seulement en abandonnant à ses propres forces la faction des Colonna, 1850B mais aussi en permettant qu’on ajoutât aux dîmes prélevées pour lui, une dîme réservée au pape, afin de l’aider dans sa guerre contre Frédéric d’Aragon.

Un document important de cette époque a été conservé dans le manuscrit des Dunes: c’est un appel adressé par le doyen et le chapitre de Tournay, afin que la générosité des fidèles soutienne les efforts du pape pour pacifier l’Italie. Un Colonna, Matthieu, prévôt de Saint-Omer, était l’un des chefs de cette croisade dirigée contre sa famille:

G. decanus et capitulum ecclesiae Tornacensis universis et singulis abbatibus, abbatissis, prioribus, priorissis, praepositis, decanis, etc., salutem in Domino sempiternam.

Piscatoris navicula, suo exordio semper pacifica, 1850C Christi sanguine rubricata, mare navigans, procellis variis ventorum agitata, nunc fluctuat, sicut hactenus dampnatae memoriae Frederici quondam imperatoris temporibus fluctuavit, quae nusquam defecit, testante Veritate quae ait: Ego pro te rogavi, Petre, ut non deficiat fides tua . . . Fidelium quemque latere non credimus qualiter Fredericus, natus regis Arragonum, furtivae dominationis invidia, ex qua Arragonum, furtivae dominationis invidia, ex qua mundi tota duobus fratribus non sufficit latitudo, dampnatae Ceciliae gentis, in qua vetustae caecitatis remansit infamia, inflatus astutia, seu ultro excessum quaerens et visum in luce perdens, insulam Ceciliae, quae est sanctae romanae ecclesiae specialis, viginti jam annis elapsis, armata manu, proditionis nota non carens, invasit hostiliter, et invasam, saeviente malitia, praviora quaerens consilia, in apostolicae sedis et illustris regis Ceciliae praejudicium, adhuc detinet occupatam, qui, licet ab eo qui salutem omnium incessanter zelatur, ipsius errata corrigere nonnunquam blandis, quoque duris, 1850D quoque monitis, paterno saepedictum Fredericum fuerit interpellatus affectu, ipse tamen, velut aspis surda obturans aures suas, non exaudit monita, non movetur blandis, non terretur acerbis, ut verificetur in eo illud propheticum: Peccator cum venerit in profundum malorum, contempnit. Audiat 1851A quoque gens electa, gens Deo dedicata, quanta et innumerabilis christianorum strages cum corona martirii, refricatis guerris, diem propter ea clausit extremum, ad quorum et futurorum regimen et cautelam sanctissimus pater noster Bonifacius thesaurum substantiamque romanae ecclesiae in tribulationibus et diversis guerris, nunc per montes et maria, plerumque per littora invia et devia, sic exhausit, ut de sumptuoso exercitu quem erga scismaticos et exules Columpnenses, perditionis filios, seditionis rectores, romanae sedis alumpnos venenosos, serpentes genimina viperarum, ingratissimos viros indixit, subtaceamus, ad praesens pro celeri et pleno subsidio ad perfectionem indiget inceptorum, qui, licet ex plenitudine potestatis decimas ubique ecclesiarum imponere quantas et quotas valeat, quia tamen, cum gratiose aguntur, gratiosius acceptantur, monemus vos, etc..

Nous savons qu’aux fêtes de l’Assomption 1298, 1851B l’ordre de Cîteaux paya une nouvelle dîme, et une lettre écrite à Compiègne, le 25 février 1299 (v. st.), par Jean de Sancy, abbé de Clairvaux, annonce la levée de deux autres dîmes, en joignant au récit des menaces du roi les plaintes les plus vives sur la triste situation de l’ordre de Cîteaux:

Venerabilibus et in Christo karissimis coabbatibus suis J. abbas Claraevallis, salutem et cum consolatione Sancti Spiritus septiferi, fructum obedientiae salutarem.

Crebre profunda traximus et adhuc trahimus suspiria cum anxio gemitu cordis, videntes diebus nostris ordinem nostrum propter guerras, subventiones, contributiones et decimas intolerabiles, nisi subveniat divina potentia, subjici servituti. 1851C Vos siquidem latere non credimus qualiter et sub qua forma verborum vocati fuerint et citati per litteras regis Franciae apud Parisius, in octavis nuper praeteritae Purificationis B. Mariae, praelati, abbates, exempti et non exempti, capitula et collegia dicti regni, ad praestandum propter guerram Flandriae subsidium dicto regi. Verum reverendo patri in Christo, karissimo domino Cysterciensi, et quatuor primis abbatibus et quibusdam aliis abbatibus, ibidem dicta die existentibus, coram domino 1852A rege expositum fuit periculum et eminens necessitas dicti regni, ac etiam a dicto rege fuimus cum magna instantia requisiti, quamquam posset, si vellet, virtute regia et privilegialiter fecisse quod forte nobis fuisset intolerabile et dampnosum. Unde nos, consideratis his omnibus et tractatu diligenter habito, factum sequentes praelatorum non sine cordis angustia, domino Philippo regi concessimus duas decimas duobus annis continuis persolvendas, pro nobis et pro universo nostro ordine Cisterciensi in regno Franciae constituto. De reverendi in Christo patris domini Cisterciensis et primorum ac plurimorum aliorum abbatum consilio et assensu, auctoritate paterna, in generali capitulo praedicto patri et nobis primis commissa, in talibus arduis negotiis, in quibus non possit dictum capitulum expectari, sub poena exponendi bona vestra manibus regalium compellentium ad solvendum, et contrahendi vestris sumptibus ad 1852B sarcinam usurarum et sub poena trangressionis et inobedientiae, praecipiendo mandamus, etc..

Tel était le degré d’affliction dans lequel se trouvait cet ordre naguère si puissant et si illustre, mais déjà réduit à ne plus espérer d’autre protection que celle de Dieu.

Le comte de Flandre voit également la main de Philippe le Bel s’appesantir sur lui. En vain s’est il prêté complaisamment aux exactions royales: la saisie du comté de Flandre est prononcée à deux reprises, et Gui lui-même, invoquant le texte formel des établissements de saint Louis, se déclare délié du serment d’hommage, parce que le roi lui refuse le jugement de ses pairs, en l’accablant «d’injures, de duretez et d’oppressions.»

1852C Au moment où les abbés de Floreffe et de Gemblours portaient à Paris le défi de Gui de Dampierre, le sire de Blanmont et le sire de Cuyk se rendaient à Londres pour hâter la conclusion d’une alliance étroite entre le roi d’Angleterre et le comte de Flandre.

Voici quelle était la teneur des instructions qui leur avaient été données:

1853A Che sunt les paroles ke on doit dire au roy d’Engleterre, u à ses gens, de par le conte de Flandres.

Au commenchement, on doit dire ensi: Sire, on désire ke vous sachiés ke messires de Flandre et medame de Flandres et tout li enfant de Flandres, et tout chil ki les aiment, ki le cuer k’il ont à vous ont conneu et connoiscent, vos ont moulte bon cuer portei toute cheste wière, et l’ont monstrei par oevre, si avant ke par loialtei l’ont peu faire. Sire, voire est ke li rois de Franche a moulte pressei et moulte de injures fait à monsigneur de Flandres, et moulte plus, puis ke les convenenches de monsigneur Edoard, vostre fil, et de medemiselle Philippe furent faites, ke devant, et pour ce ausi ke mesire de Flandres ne vot mie faire en vous grevans ce ke li rois de France li faisoit mettre avant, et k’il li faisoit requerre, et li cuens s’est adès moult débonairement et moulte humlement portés 1853B enviers le roy, en requérant adès k’il fust maintenus en raison et en droit. Bien est voirs ke li dus de Braibant, ki niés est à monsigneur de Flandres, et li cuens de Bar, ki cousins germains est à medame de Flandres, et ki sunt, sire, loyet à vous, et pluiseur autre gent ki vos aiment et ki aiment ausi monsigneur de Flandres, ont mis avant à monsigneur de Flandres de piechà k’il rewardast à son afaire, et k’il s’aidast et confortast, et se mesist encontre le roy de Franche avoeques vous. Et pour che ke bien savoient et bien sèvent ke messires de Flandres pooir n’a de lui et se terre mettre encontre le roy de Franche, pour les mises ke mettre convient, bien disent adès et affermèrent moulte aciertes ke, se faire le voloit, k’il aroit de vous che k’il vorroit. Aucun reportoient nombre d’argent, et aucun parolle moulte grande, sans mettre nombre d’argent, sire, et aucun de ki à vous sunt, disoient à aucunes gens ki sunt à monsigneur de 1853C Flandres ke, se li cuens le voloit faire, k’il aroit de vous che k’il vorroit d’argent, et mariages ausi pour ses enfans. Sire, toute si faites paroles et moulte d’autres furent reportées à monsigneur de Flandres. Sire, il ki teus est, comme vous bien le connoisciés loials et prudom, convient k’il vos amast de bon cuer, pour warder se loialté en tous poins, ne volt onques rendre response certaine, juskes adont k’il eust le roy de Franche trouvei en défaute parfaitement envers lui et summei de tout, et del roy sommer se travella-il; car les injures ke li rois de Franche li soloit faire, il les contrestoit plus asprement k’il ne soloit, en requérant ke drois et raisons li fuscent fait, sans faire parler par moyen, ne par moyène, en espéranche ke, s’on li eust fait droit et raison, k’il le presist, et s’on ne li fesist, k’il se peust aherdre à chou ki dit li estoit, sire, de par vous, laquèle choze il cuidoit trover moulte preste, quant la chose à ce se donroit, selonc 1853D che ke on li avoit dit. Sire, ore est ensi avenu ke li cuens de Flandres a tout summei le roy de Franche et mis parfaitement en défaute: par quoy clerc de droit et de divinitei ont dit et dient ke li roys de Franche a tant meffait envers le conte, ke li cuens est desloyés de homage, de serviche, de féauté et de toute redevanche k’il li devoit u pooit devoir. Et quant li cuens eut chou ataint de savoir, à vos gens il envoia por eaus certefyer de se response sour che dont autre fie il avoit estet de par vous aparleis, et k’aucun de ses gens lui avoient ausi raportei de vos gens. Sire, demandes fist li cuens de Flandres telles, en oquoyson des alliances par lesquelles il peust soustenir mius l’emprinse encontre le roy, lesquèles demandes ne furent mie ensi oys, comme on se fioit par les paroles ke on avoit oyes devant. Nequedent vos gens parlèrent 1854A moult courtoisement, et disent k’il n’avoient autre pooir, et ke vous, s’on voloit tant atendre, feriés plus courtoisement k’il n’avoient pooir de faire, ne ke faire n’oseroient. Et li cuens de Flandres, sire, ki devant che ke vos gens veniscent à Cambray un peu de tans, avoit le signeur dé Blanmont et le signeur de Kuc esli et ordeneis à venir à vous de par lui, et mis à voie s’estoient, mais parvenir n’i peurent mie, par l’empêcchement dou tans, et ki ausi rewardoit k’il avoit tant fait et tant contrescivé contre le roy de Franche, puis ke dit li fu ke desloyés en estoit, ke plus atendre ne voloit, s’assenti en chou ke vos gens faire li voloient, sauve che k’il se mist adès dou sourplus, en le franchize de vostre conniscance en lequèle il se fie sour toutes riens. Et pour parfaire, sire, toutes les besognes et metre en certainitei de chou ke fait est par vos gens, et ke vous ferés par vo grasse, dont on se fie bien tant et plus ke de che ke fait est, li cuens 1854B de Flandres a envoyet à vous le signeur de Blanmont et le signeur de Cuk et son recheveur de Flandres, soufisantment warnis de par lui, liquel vos requièrent pour Diu k’il soient hastéement et tost délivrei, car il est grans besoins k’il soient tost dëlivrei, car, sire, savoir deveis ke li cuens de Flandres, quant il envoia chi à vous, envoia d’autre part au roi de Franche dire et nuncher de par lui par deus abbeis, ch’est à savoir l’abbei de Floreffe et l’abbei de Jemblos, ke li cuens de Flandres estoit desloyés à lui par ses mesmes défautes, et chel nunchement fait, ki orendroit est fait, li cuens de Flandres ostera de tout sen pays, et par terre et par mer, tous cheaus ki de par le roy i sunt, et ensi sera guerre commenchié, et ne cuidens mie si tost venir en Flandres ke le viert commenchie.

Un traité fut, en effet, signé peu de jours après dans la chápelle de Notre-Dame de Walsingham, 1854C Edouard Ier y annonçait qu’il soutiendrait Gui de ses trésors et de ses armées, et s’engageait à ne jamais traiter sans lui: promesse solennelle qu’Édouard refusa toutefois de confirmer par son serment, attendu, disait-il, «ke de usage avons k’en propre personne ne jurons mie.»

Enfin, le 25 janvier 1296 (v. st.), le comte de Flandre fit lire, dans l’église de Saint-Donat de Bruges, un acte solennel d’appel au pape, où se trouvaient reproduits tous ses griefs contre le roi de France.

Cum vir nobilis, Guido comes Flandriae, more progenitorum et antecessorum suorum Flandriae comitum, ratione comitatus Flandriae, pro parte de regno Franciae existentis, unus de paribus regni existeret, et eumdem comitatum a rege Franciae, 1854D in feodum teneret, idem comes pro eodem feodo regi Franciae Philippo qui nunc est, fidelitatem fecit et homagium, prout alias clarae memoriae Ludovico et Philippo, progenitoribus ipsius regis, fecerat, et ipse rex ad fidelitatem et homagium eumdum comitem in sua fide recepit. Deinde idem rex pro suae voluntatis arbitrio, et excluso prorsus rationis judicio, licet eumdem comitem sibi, prout debuit, jure fidelitatis et homagii tanquam domino et regi obedientem adversus quoscumque, in jure suo, et maxime in hiis quae pertinebant ad feodum, defendere deberet et regere, impugnavit eum, et jura ipsius comitis ad ipsum ratione ipsius feodi et aliorum pertinentia occupavit, et contra statum et honorem ipsius comitis machinatus est, et in jure eidem faciendo defecit, et expresse sibi jus facere recusavit, et dampna plurima ei dedit, et corpori 1855A suo violentiam intulit, et cum inimicis comitis in laesionem ipsius confoederationem fecit, et cum aliquibus subditis comitis de terra sua de confoederatione adversus comitem tractavit, et ipsos visus est seducere, et eos adversus comitem dominum suum commonivit, et sollicitavit eos super hiis per se et suos. Conventiones etiam de modo tractandi ipsum comitem per jus et pares suos, de hiis quae rex ei debet facere, et comes versa vice regi, ab olim inter reges et comites, eorum praedecessores habitas, et de regibus in reges et comitibus in comites successivis temporibus, et per ipsum regem qui nunc est et eumdem comitem renovatas et jurejurando firmatas, violavit et fregit, et fide per eumdem rupta, ipse rex in praemissis, non solum semel sed etiam pluries, quasi infinitis vicibus, et in aliis quasi innumerabilibus, eumdem comitem prosecutus est, multiplicatis contra Deum et justitiam gravaminibus, incessanter, cumque ipse comes 1855B frequentissime supplicaret regi quod jus ei faceret, et ab hujusmodi injuriis abstineret, nunquam ab eo exaudiri potuit, et cum per pares suos peteret jus sibi fieri, quod de jure et de consuetudine et per conventiones praedictas facere debebat eidem, ipse rex, se per hoc offensum reputans, indignationis aculeos committit in ipsum, et quanto humilius ipse comes, propter Deum et justitiam et hororem suum conservandum, et pacem quam semper desiderabat cum rege habendam, et ejus acquirendam benevolentiam et gratiam, obedivit eidem, tanto asperius tractavit eum, et per injurias molestavit per haec et alia, de quibus non solum terribile est loqui, sed horrendum etiam cogitare, et execrabile hominum in auditu; et ad ultimum comes, cui haec amplius pati non est possibile, sentiens culpa ipsius regis vinculum fidelitatis et homagii, conventionum et pactionum, juramentorum et fidei, subjectionis et obedientiae et alterius cujuscumque 1855C confoederationis et obligationis, quod inter regem et ipsum extiterat, penitus dissolutum, et se ab hiis prorsus absolutum et liberum, quia rex ipse superiorem non recognoscit in terris, ad protectionem et auxilium omnipotentis Dei confugit. Verum quia comes ipse, qui amodo ipsi regi obedire non debet nec intendit, cum ad id non teneatur de jure, probabiliter et verisimiliter, maxime etiam cum praesumendum sit de praeteritis ad futura, timet sibi et timere debet, ne rex ipse vel alius, occasione praemissorum, per injuriam ecclesiasticorum judicum seu executorum aliquorum, seu alias, vel alius aliquis ipsum comitem gravet et molestet indebite contra jus et justitiam, et ipse comes paratus est et offert stare juri super praemissis et aliis coram domino papa seu quocumque alio judice competenti, si rex ipse aut alius contra eumdem comitem in aliquo voluerit experiri: ego Johannes dictus Brantin, praenominatus, procurator ejusdem comitis, nomine ipsius et pro ipso, sub testimonio praesentium 1855D virorum a me ad hoc rogatorum, ipsum comitem, statum, sibi adhaerentes et suos, terram suam et sibi subditos et sua, protectioni curiae romanae supponens, ad eamdem curiam romanam appello seu provoco in hiis scriptis contra praedictum regem, et contra quoscumque qui sua crediderint interesse, et contra judices seu executores et alios injuriatores quoscumque, et si quis in praemissis aut aliis ipsum comitem, sibi adhaerentes et suos, et sibi subditos in personis aut terris aut possessionibus aut rebus suis vel aliis gravet, turbet, inquietet, molestet, aut vexet, seu quodcumque faciat injuste vel indebito, in figura judicii vel extra, in praejudicium ipsius comitis, sibi adhaerentium aut subditorum suorum, et instanter apostolos peto et protestor de appellatione seu provocatione hujusmodi facienda et innovanda 1856A loco et tempore, et prout fieri debebit de jure. Et quia dominus comes praedictus, seu ego aut alius procurator, seu ex parte ipsius aut pro ipso, propter metum ipsius regis et suorum qui in constantem virum cadere debet, in praesentia ipsius regis aut suorum super praemissis appellare seu provocare non possumus nec audemus, protestor nomine quo supra de appellando seu provocando, et de renovando seu innovando appellationem seu provocationem praedictas super hiis, et de notificando haec ipsi regi, dum cessaverit hoc impedimentum, et dum commode facere poterimus, et prout de jure fuerit faciendum.

Cet acte d’appel, renouvelé à plusieurs reprises, au mois de mars et au mois de mai, reçut l’adhésion des abbés de Saint-Pierre, de Saint-Bavon, de Marchiennes, d’Eenhaem, de Saint-André, d’Oudenbourg, de Grammont, des Dunes, d’Eeckhout, 1856B de Saint-Nicolas des Prés, de Saint-Nicolas de Furnes, de Tronchiennes et de Ninove; des doyens de Bruges, de Furnes, de Cassel, de Seclin, de Douay, de Courtray et d’Harlebeke; des prévôts de Gand, de Thourout, de Watten, de Loo et d’Éversam . Une lettre du 22 juin 1297, annonça au Pape que le comte de Flandre avait choisi Michel As Clokettes, Jean Beck et Jean de Tronchiennes, pour soutenir cet appel.

Gui de Dampierre se confiait dans l’alliance de l’empereur Adolphe de Nassau et du roi d’Angleterre, Édouard ler.

Adolphe de Nassau lui écrivait le 31 août 1297.

Adolphus, Dei gratia, Romanorum rex, semper 1856C augustus, spectabili viro, Gwidoni comiti Flandriae, fideli suo karissimo, gratiam suam et omne bonum. Litteras sinceritatis tuae nostro culmini noviter destinatas solita affectione recepimus, et contenta in eis pleno concepimus intellectu. Sane scire te volumus quod super tuis turbationibus non minus afficimur quam de nostris. Unde, licet rebellio aliquorum praecipuorum imperii principum et machinationes eorum perversae, quibus crimine laesae majestatis se polluere non formidant, desideriis nostris tibi celeriter succurrendi contra regem Franciae hactenus obstiterint, et adhuc non mediocriter impediunt nostrae propositum voluntatis, quod quidem sub fiducia fidelitatis tibi praesentium serie declaramus, indubitanter tamen teneat tua fiducia quod absque morae periculo, cum viribus armatorum quas admittet praesentis necessitatis instantia, debeamus consolabiliter te videre, juxta quod nobilis vir Johannes de Kuic, affinis noster dilectus, latius tibi poterit expedire, cui statum praemissorum, et 1856D exinde nostram penitus expressimus voluntatem. Juxta hoc siquidem volumus quod, spiritum consolationis et animum fortitudinis assumens, amicos tuos et subditos debeas fiducialiter consolari, sciturus certissime quod, si quos cum praedicto rege Franciae contigerit haberi finales tractatus, tibi per omnia cavebimus, quantum possibile nobis erit. De adventu etiam illustris Edwardi regis Anglorum nuper nobis fuerunt aliqua intimata, cujus revera adjutorium tam nobis quam tibi crederetur plurimum opportunum: qui sive veniat, quod multum nostris desideriis arridet, sive non, quod satis esset contrarium votis nostris, de adjutorio tamen nostro certitudinem omnimodam volumus te habere. Datum in Slectstad, II Kal. septembris, regni nostri anno sexto.

1857A Adolphe de Nassau succomba dans la lutte contre Albert d’Autriche, et Edouard Ier, qui s’était engagé à ne point quitter les armes sans avoir vaincu Philippe le Bel, l’oublia pour conclure une trêve, en acceptant Boniface VIII pour arbitre.

Le sort de la Flandre allait se décider à Rome. Philippe, fils de Gui, devenu prince italien, et connu sous le nom de comte de Thiette, depuis qu’il avait épousé Mathilde de Courtenay, s’y rendit sans délai, et il y fut bientôt rejoint par ses deux frères, Robert de Béthune et Jean de Namur, qui avaient quitté la Flandre pour défendre les intérêts de leur père près du pape.

Boniface VIII, avant de monter sur le siége pontifical, avait été, dans un célèbre procès contre les 1857B usuriers d’Arras, l’avocat de la commune de Bruges, qui, à l’occasion de son avénement, lui avait offert deux riches pièces d’écarlate, pro honore suo quod fuerat advocatus causa praedictae; et c’était également à Boniface VIII, qui n’était alors que le cardinal Benoît Gaetani, que Gui de Dampierre s’était adressé pour écarter Gui d’Avesnes de l’évêché de Liége, en invoquant des sentiments de bienveillance et de protection qui ne lui avaient jamais manqué. Mais la situation n’était plus la même au commencement de 1298, et c’était au Pape, devenu l’allié de Philippe le Bel, qu’il fallait faire accepter un acte d’appel, qui émanait d’un vassal armé contre son seigneur suzerain.

Rien n’est plus important que la série des pièces 1857C diplomatiques de cette époque relatives aux négociations de Gui de Dampierre à Rome, et on nous saura quelque gré de les reproduire pour la première fois d’une manière complète.

Le 2 avril 1297 (v. st.), Michel As Clokettes et Jacques Beck annoncent au comte de Flandre que le Pape leur a fait bon accueil, en leur parlant de l’affection qu’il avait toujours eue pour la maison de Flandre. En ce moment, Boniface VIII faisait assiéger le château des Colonna, et multiplait les précautions pour se mettre à l’abri de leurs tantatives.

Très-chiers sires, nous Mikius, vo chapelains, et Jaques Beck, vos clers, vous faisons assavoir que nos chiers et amés sires mesire Philippes vos fiesus, 1857D conte de Thiette et de Loreth, et madame la contesse se fame, estoient en court de Romme, quant je Mikius venoie en ledite court, et avoient jà parlet à nostre sengneur le pape, et principalement de vostre besoingne, de qui il avoit bonne response, et puis, sire, que jou Mikius estoie venu, le meisme jour de me venue fui-ge en le présence de nostre seigneur le pape et lui présentoie vos lettres, en la presence doudi vostre amé fil et de maistre Jacquemon, vo clerck desusdi, et lui monstroie par paroles, soulant chou que Dius le me ministra, vo besoingne, qui moult bonnement me oï. Et me respondit moult avenanment, sir, pour vous, et 1858A recitoit, sir, le grand affection et l’amour qu’il avoit de lons tans à le maison de Flandre et à vous, et disoit que bonement il feroit, se Diu plaist, que vos besoingnes revenroient en bon point, puisque li estat des besoingnes des rois de France et d’Engleterre venroient en sa main pour ordener. Et il ne cuide mie qu’il se doivent partir de lui sans bonne pais, et moult bonement il se maintenoit, envers monseigneur Philippe vostre fils. Et, très chier sire, nous visitames puis chest di tous les cardenaus, et leur présentames vos lettres, et leur disimes vostre besoingne pour vous, en reccomandans à eaus, dont chascun, à part lui, nous a moult bonnement respondu pour vous, et nous ont promis de conserver vostre estat et vostre honneur et le honneur de vostre maison de Flandre, à leur pooir, et, devant che, les avoit vissités lidis vos chiers fis, qui nous dist que moult convenable response il avoit d’eaus. Or doinst Dius que la besoingne vienne 1858B à bonne fin et honnerable, ensi comme nous en avoins grand espéranche. Et, très-chiers sirs, sachiez que mesir Philippe, vosdis fius, s’estoit partis de court, quand ces lettres furent faites, avoec le duc de Calabre, fil au roy Charles, qui estoit venus à court au mandement le pape, et est retournés en ses païs, et revenra aussitost qu’il saura les novèles de la venue de nos seigneurs, qui pour vous venront à court. Et on ne savoit encore auquel liu li court sera en estei. Et il convient, sire, que chil qui viènent de par vous viègnent bien enfourmei et bien pourveu; car pour le partie adverse venront moult grand gent. Et, sire, savoir devés que li cours de Romme est moult désirans et qui besoingner vielt, il convient qu’il fache moult de dons, de promesses et de obligations, et meismement en teil besoingne qui si grans est que vous savés, en laquèle il ne convient mie, quand à ore, espargnier. Et nous avons pourvus, sire, pour vous en la court les miudres advocas de le court, mais grandement 1858C voelent estre servi de leur saleire; non pourquand nous les avons retenus. Et boin est que vous envoiés à court les transcripts de toutes convenances et de tous les priviléges dont vos volés aidier, escriptes par mains de tabellions publics. Et d’endroit les apiaus qui fait furent, sire, pour vous et pour les vos, ai-jou Jaques Beck vos clers, envoiés pluiseurs lettres à vous baillées par pluiseurs mésages, ch’est assavoir par Gérard Hac, qui est de vo terre d’Alost, et par Jean Denis de Lille. Et dou remanant vous ai-je escript comment li papes l’a retenu en parties, spéciaument les apiaus encontre le roy de France, pour ordener, et comment il a commist la besoigne encontre le archevesque de Rains et le évesque de Senlis à monseigneur Gérard de Parme, cardenal, et bon est, sire, s’il vous plaist, que on face faire les citations par les juges des apiaus, qui là sont pour perpétuer leur juridictions, comment que la besoigne voise, et il ont pooir de 1858D vous rasaure à cautèle et cheaus qui à vos apiaus se tiennent. Et, très-chières sire, li estas et les novèles de court, quand à ore, sont teus que nostres sires li papes fait continuer sa guerre contre les Colompnois, et estoit encore ses os devant un castel, que on apièle la Colompne, et il se tient plus continuellement sour se warde qu’il ne soloit, et se fait moult près warder et pau ist, mais à le fie fait-il célébrer en sa capelle, et là se fait moult grandement warder. Et on dist, sire, que Frédris, qui encore tient Sesile, a fait moult grand armée de galées, et à l’encontre li rois Charles et li dux et li princes si fil ont fait et font ausi grand armée, 1859A pour coi on quide que grans wuerre sera entre eaus en ches parties, se Nostre Sire n’i met pais. Et encore est en court li évesques de Chaalons; mais mesire Jehans d’Apremont, évesques, et il primichiers de Verdun se sont parti de court. Et nostre sires li pape a fait moult de nouvèles constitutions, ensi, très-chiers sires, que je vous ai autrefois escript. Et, très-chiers sires, voelliés estre avertis que la court soit si pourveue que par défaute de pourvéance autres défautes n’aveignent; car à che sera grandement vos honneurs et li avancemens de vos besoingnes. Et miels vaut que on manche un pau dou sien en aventure que on perde le grand pour le petit. Et nous avons fait assavoir par lettres à no très-chier seigneur monseigneur Robert, vostre fil, que, se chis mésages lui venist à devant, que il ouvrist ches lettres et les leust et reclausist sour son seel, et sour che, sire, vous fesist assavoir sa volontei. Sire, s’il vous 1859B plaist, vostre volontei nous mandés, et nous sommes prest de le faire. Et Nostre Sire vous soustiene en bonne et longe vie, à honneur et joie, et vous ward à l’âme et au cors. Donnei à Rome, II jours el mois d’avril.

Dans une lettre écrite dix-huit jours après, Michel As Clokettes et Jacques Beck pressent l’arrivée de Robert de Béthune, et lui recommandent de ne rien faire sans connaître exactement la situation des choses:

Très chier sire, nous Mikieus As Clokètes, vo capelains, et Jaques Beck, vos clerc, demorans en court de Rome, vous faissons assavoir que nous, le mardi en Pasqueres, envoiames un message vers no trés haut et trés chier signeur, men signeur le conte, vo très amé signeur et père, par lequeil nous li faissons savoir le estat et les novèles de court 1859C de Rome. Et li baillames lettres pour vous baillier et pour vous enformeir de ce que nous faissons savoir à nodit très haut signeur. Et sachiés, cher sire, que li papes et autre vo ami se marvellent assés que nus de vos messages n’est encore à destant de vous venus en court pour enformeir et aviser de la vostre volentei. Et nous n’avons encore nul osteal retenu pour vous, et pour vostre gent à Rome, ne en autre lieu, ne nulle porvéance faite: car nous ne poons savoir où la court sera, ou à Rome ou ailleurs. Nepourquant avons-nous fait no pooir del savoir; et nous dist-on que, en quiel queconque lieu que li court sera, li papes fera pourvoir as parties de la besoigne pour quoi vous venez de osteus à sen ordenance: et autre response ne poons encore avoir fors que ensi en général. Et pour ce, sire, s’il vous plaist, est-il bon que vous envoiés à devant vous un message, VIII jours ou X, pour noncier sour ce et sour autres choses vostre volentei. 1859D Et si vous fuissiés si près comme à Gêne, et vous vousissiés repouseir pour un pau de tens, nous venrièmes à vous, ou li uns de nous, pour dire de ces besoignes, à l’avis que nous porrons avoir que à faire en est: car il ne se fait mie bon soudainement traire en court. Et nous créons que nient plus de certainne response n’ont cil qui sont et ont estei en court pour les messages des rois. Et sour ce, nous faites assavoir, s’il vous plaist, vostre volentei et vostre comandement. Et, sire, se vous volez reposeir à Gêne, ainsi que dist est, plaise vous de prendre vostre repos ès maisons de ceaus de le compagnie de Restorrimente, et faite demander doudit Restor et de Truphin, qui sont chief de le compagnie, et qui moult se sont offert pour vous aisier 1860A et honoreir. Et Nostre Sire vous soutienne en bonne et longue vie, à honneur et joie, et vous wart à l’ame et à corps. Donné à Rome, XX jours en mois d’avril.

Dès que Robert de Béthune et Jean de Namur eurent rejoint à Rome Philippe de Thiette, ils adressèrent au pape un mémoire où ils réclamaient la liberté de leur soeur, et celle du sire de Blanmont et des autres prisonniers faits à la bataille de Furnes, qui eussent dû être relâchés d’après une clause de la trêve du 31 janvier 1297 (v. st.). Ils insistaient principalement surl’importance qu’avait pour la Flandre l’alliance de l’Angleterre.

Sanctitati vestrae supplicant devoti vestri, Robertus primogenitus, Philippus et Johannes filii nobilis viri comitis Flandriae, quatinus honorem et statum 1860B ipsius comitis conservantes, de quo in vobis incommutabiliter confidunt, causam ipsius contra regem Francorum, cum ea celeritate, qua fieri poterit, terminare velitis, et securitatem in pace vivendi procuretis eidem. Et, si res ad praesens terminari non valeat, supplicant ex nunc sibi restitui filiam suam quam rex detinet, et incarceratos et captos quos rex detinet, scilicet dominum de Blanmont et alios, occasione guerrae dicti comitis, liberari secundum formam conventionis habitae in concessione treugarum seu induciarum inter ipsum regem et regem Angliae, et sibi confoederatos et adhaerentes, saltem durantibus treugis.

Item supplicant super sententiis excommunicationis et interdicti, quae de facto latae sunt contra comitem, universitates et singulares personas eidem adhaerentes, paterna benignitate provideri ut revocentur, quatinus de facto processerunt, vel saltem quod omnia sint in eo statu in quo erant tempore 1860C appellationum ad vos emissarum; ita etiam quod praelati, non obstantibus dictis sententiis, admittantur ad praesentandum, et clerici et personae ecclesiasticae ad beneficia et dignitates et ad ordines, et ad caetera omnia agenda et facienda recipiantur, et facere possint tam laici quam clerici, in judicio et extra, praecipue cum dictas excommunicationum et interdicti sententias nullas dixerint et dicant, quae facere et agere poterant ante dictas sententias et appellationes emissas, et quod refutatis occasione excommunicationis seu interdicti, post appellationes seu sententias praedictas, praejudicium nullum fiat.

Item supplicant ecclesiis et ecclesiasticis personis sui comitatus comiti adhaerentibus provideri, ne cogantur bona sua tribuere regi, in laesionem et destructionem ipsarum, cum rex ipse et sui, insurgentes adversus comitem et terram suam, plures ecclesias et sacra loca igne concremaverint et destruxerint 1860D per injuriam et violentiam.

Item sollicite provideri quod treugae serventur comiti et suis, et quod attemptata adversus treugam praeteriti et futuri temporis, cum restitutione dampnorum, occupatorum et ablatorum, et emendatione injuriarum, in statum debitum reducantur, et super hoc executorem ydoneum vestrum, vel plures, sibi concedi. Et quia quandiu rex tenebit illam partem terrae comitis, quam per violentiam et injuste occupavit, parari non potest comiti et suis treugarum seu induciarum securitas, supplicant quatinus terram illam de manu regis in manu vestra poni procuretis, donec negotium fuerit terminatum.

Pater sancte, devotus vester filius, comes Flandriae, 1861A gravatur et laedetur in subsequentibus, si matrimonium, quod inter filium regis Anglorum et filiam comitis Flandriae sperabatur, ex conventionibus inter parentes habitis et jurejurando vallatis, debere contrahi, non procedit. Magnum enim erat ei et generi suo, habere filium regis Anglorum et regem futurum sibi affinem et amicum, et prolem regiam ex matrimonio, et filiam reginam, de quo sperandum erat, Domino disponente.

Item magnum erat ei et subditis suis, habere pacem et amicitiam inter terram Angliae et Flandriae, inter quas frequenter fuit turbatio et guerra, cum dampnoso personarum et rerum dispendio. Terrae enim vicinae sunt invicem, et frequenter consueverunt habere communionem negotiationis et commercii, praecipue lanarum de Anglia et pannorum de Flandria, et aliarum rerum infinitarum quae inveniri consueverunt utrobique. Et quia patria Flandrensis haec et alia plura commoda ex dicto matrimonio 1861B sibi profutura sentiebat, obligavit se ad dandum ducenta milia librarum turonensium, quae rex Angliae habere debebat sub ea conditione, si matrimonium procederet. Et erat res ad hoc disposita, quod comes de suo nichil dare deberet pro matrimonio praedicto. Postmodum ex causa convenit inter regem Anglorum et comitem praedictum, quod rex praedicta ducenta milia librarum comiti dedit, et jus quod in ais habebat cessit eidem. Quae omnia comes amisit si matrimonium non procedit, nec alias fuerunt obligati illi de patria ad dandum, nisi sub ea conditione, si matrimonium procederet. Quae conditio matrimonii si deficiat, Pater sanctissime, sicut scitis praecedentia dampna, etiam alia subsequentur.

Haec autem, Pater sanctissime, ad informationem vestram ostendunt devoti vestri filii comitis, ut comitis in hoc negotio sentiatis dampnum et jacturam .

1861C Une lettre de Gui de Dampierre, écrite au château de Peteghem. le 23 juillet 1298. donne des détails pleins d’intérêt sur ce qui se passant alors en Flandre:

Guis, cuens de Flandre et marchis de Namur, à ses chiers et ameis fius Robert, Philippe et Jehan, 1862A demourans en le court de Roume, salut et amour de père. Sachiés, chier fil, ke as octaves de Saint-Pière et Saint-Pol nous recheumes vos lettres en Pethenghem, ke vous nous envoiastes, et entendimes diligeanment che ke eles contenoient: premièrement, de vo estat; en apres, comment li apostoles vous rechent honnoravlement et courtoisement, à vo entrée, quant vous li fesistes reverense, et à l’autre fois, quant vous li monstrastes nos besoignes et nos nécessités, pour lesquèles vous y estes venut: dont nous loons Diu, en priant k’il vous doinst, sour che commenchement, boin moyen et milleur fin, par quoi, nos besoignes délivrées à se sainte volenté, vous puissiés retourner à joie et à honneur.

De nostre estat vous faisoms-nous savoir ke nous estièmes en resenavle point de le santei dou cors, quant ches lettres furent données; mais de cuer mout estièmes greviet, et sommes souvent, et priessei pour les griés, les despis et les damages 1862B ke les gens le roi de Franche font à nos et à no gens, k’il molestent et travaillent chascun jour, en faisant et venant contre le teneur de la souffranche ordenée et jurée par les II rois en pluseurs cas, et sour che point spéciaument en le souffranche expressei, ki tient se tiègne: car nos houmes et leur biens, qui devant leditte souffranche ne furent pris, saisi ne arriestei, ne durant le souffranche dusques à hore, il arriestent, saisissent et prendent en plusieurs lius, à volentei et sans raison, et dient, puis k’il tiènent les chiefs-lius des castelleries, si comme de Bruges et de Courtray, il voelent avoir et tenir tout che ki ésdittes castèleries est hors des forterèches, qui prises ne furent en tans de wière, et voelent afermer et maintenir par leur legistres, ke li membre doivent suiwir le chief. Laquèle chose est apertement contre les paroles deseuredittes, escrites en le souffrance: ki tient se tiègne; et se il, par leur cavillations et plus par leur forche, de che venissent à leur entente, ke ja n’aviegne, nous 1862C pierderiens à pau priès tout che ke remeis nous est ès castelleries de Bruges et de Courtray, et grant part ès ballies d’Ippre et de Cassiel, qu’il nous ont mis en calenge. Et pour ches débas acorder, qui trop nous appèrent damageus et périlleus, dont li doi mareschal, mesire Simons de Melun, de par te roy de Franche, et mesire Joffrois de Jenville, 1863A de par le roi d’Engletière, n’ont peut iestre en acort, par le importunitei des Franchois qui nous sourquièrent de toutes pars, non contrestant le souffrance jurée des II rois, et pendant le traitié des besoignes devant le pape, il nous a convenut prendre journée, si comme par forche et por pis eskiuwer, contre eaus, à Arras, as octaves de le Magdelaine. Là nous devons avoir VI chevaliers et IIII clercs de par nous, et li autre tant de chevaliers et de clercs par eaus, pour enfourmer lesdis marischians dou droit. Laquel chose nous est moult griés, quant de che ki nos drois est, et assés déclareis par le teneur de le souffrance, nient saisis, nient arriesteis ne maiiés de par eaus dusques à hore . . . nous convient à forche et mettre en déclaration de leur gens. Et dou débat de Rosnais, entre nous et nostre neveu de Henau, oïes les raisons d’une part et d’autre raportées par enqueste, li marescheaus le roy d’Engleterre, sire Joffrois devantdit, a donnée sentence pour nous, et mesire Simons de Meleun, marischaus 1863B d’autre part, a donnei sentence en descort pour nostre neveu de Henau, lequele, par le auctoritei dou seigneur de Neele, qui commandères et faisières est de tous ches griés ke om nous fait, si comme entendut avoms, nos niés de Henau met à exéqution à sen pooir, ensi ke se li doi marischal eussent donneit sentence por lui et en acord. Et puis ches II sentences ensi donniées, nous, pour mal eskiuwer, requesimes et offrimes ke les besoignes fussent en le main des II marischiaus, liquel exploitassent ou liu, et fesissent prendre et lever de par eaus toutes les rentes et les revenues, et les tenisent en sauve main, dusques à tant ke drois en fust déclareis et sans préjudice de le partie ki droit avoir i doit. Lequèle offre et requeste lidis mesire Simons et ses consaus ne vorrent mie rechevoir, ains usent de leur sentence au content de mon signeur Goffrois devantdit et en no préjudice, et font à Rosnais leur bans et leur mandemens, si k’il 1863C leur plest et contre raison. Item, sachiés ke li évesques de Tournay, nos contraire à sen pooir, non contrestant nos appiaus, dont juge sunt empétré et plait pendant sour icheaus à Cambray, et ses sentences telles quèles fait publier et renouveler ès églizes de Tournay, de Bruges et de Courtray, et ailleurs, si comme lui plaist, en le diffamation de nous et des nos, et non mie sans escandèle de pluseurs: laquèle chose nous est moult griés. Item, vous faisons-nous savoir, si comme nous avons entendut, ke li rois de Franche fait prendre tous les biens des personnes de sainte Eglise qui se tiènent à nous et à nos apiaus, par tout là où il les puet avoir en ses destrois, et a jà fait saisir les fruis de cet aoust, et cheaus qui mainent desous nous, quant il viènent ès destrois le roy, en prent et emprisonne, por II chiuncismes k’on leur demande de tous leur biens, et pour che k’il se tiènent à nos appiaus; et meesment, les bénéfices de nos clercs, 1863D de l’an présent et à venir, les gens le roy ont pris et saisis, par quoi il n’en pucent goïr, jasoit che k’il aient, par no privilége ke li pape nous a donné, gracie qu’il en puissent goïr en no serviche; mais chevaleir ne leur puet coutre le forche le roy, qui ensi nous griève et fourmaine de toutes pars.

Cher fil, si vous mandoms, prioms et volons ke de ches griés deseuredis et de mout d’autres que ke li 1864A rois et li évesques de Tournay font a nous et a no gent, en pluseurs manières, vous enfourmés le pape, et en fachiés plainte à lui de par nous, et li soupplyés ke par pitié et par droiture il i mette remède, spéciaument contre le fait l’évesque de Tournay qu’il a en le main, pour corriger et punir, douquel nous vous envoierons prochainement tout le prochès. Et de ches griés ke li rois nous fait, parleis au comte de Savoie et à monsigneur Othe de Gransson, et les enfourmeis comment on nous priesse contre raison. Et à che travilliés ke vous les aiiés avoech vous, ou l’un de eaus, quant vous en parlerés au pape. Dou prévost de Braine-le-lein vous mandons-nous ke de s’accointance et son repair, puist k’il n’est en le gracie dou pape, ouvreis sagement, par qoi en l’occoison de lui li papes ne puist de riens iestre meus contre vous Item, chier fil, par cest message nous vous envoioms lettres à le compagnie des Mages, par lesquèles vous prenderés en 1864B court IIIIm florins d’or. Et volentiers, se nous peusciens, orendroit vous en envoissiens plus grant somme de monnoie; mais li rois d’Engleterre nous a falli de XXVm libvres de tournois qu’il nous doit de tans passei, dont no boine gent d’Yppre et de Douay, asquels nous sommes obligié, devoient iestre payé, et pour l’occoison de ceste faute, il en sont grevei et nous aussi. Et si avons nous no gent daleis le roy, qui, pour ce paiement avoir, out là-endroit awardé longhement et awardent encore. Si nous samble boin ke li cuens de Savoie et mesire Othes de Gransson sentent par vous ke nous sommes en anui et en damage, pour défaute de ce paiement, lequel se no eussièmes à tans eut, vous fussiés plus largement pourveut. Item, chier fil, de che ke vous n’avés mie baillié au pape nos lettres ke vous emportastes, et ke vous iestes bien souvenant des paroles, ke nous vous desimes au partir de nous, sour le matère dont ches lettres parlent, bien nous plest, et n’avons mie encore no propos cangié 1864C de che ke nous vous en desimes. Voirement, se li pape vous requiert de demorer et mettre les besoignes sur lui, couvertement et sagement li respondés, et vous en passeis sans lui mouvoir. S’ensi ne fust ke li rois de Franche del autre part ne se mesist sour lui, adonc ne le poriés-vous mie refuser; mais, avant ke vous le fesissiés, nous vorrièmes ke vous sentissiés de lui, par raisons et priieres inductives, ke il nous sauveroit no yretage ke li rois a entrepris, et ke nous ne fussièmes par lui fourmenei, ensi ke nous avons estei dusques à-hore. Item, chier fil, des avenues de nos parties vous faisons-nous savoir ke li rois Ayous d’Allemagne jadis, le second jour de julé, entre Mayenche et Oppenem, fu desconfis et ochis en bataille dou duch Aubert d’Osteriche, et se gent aussi. Et dient li pluseur ke lidis dus a grant faveur des éliseurs, et tient-on k’ll doie iestre rois d’Allemagne, et k’il aproche vers Ais, et trait les gens dou pays 1864D à sen accord, et commenche à faire allianches. Et pour che nous avoms jà envoié vers lui pour traiter et ordener avoech lui amistei, selonc che ke boin samblera pour no pourfit au signeur de Faukemont, ki de par nous i est aleis, selonc les avenues des besoignes ki sont au tans de hore, et fumes fondei en partie sour le teneur d’une lettre le signeur de Kuk, dont nous vous envoions chi-dedens le transcrit , et d’une autre lettre ke nos niés, li dus de 1865A Brebant, nous en envoia, liquels a envoié audit duch pour faire alliance et amistié; et avons-nous et nosdis niés de Brebant sour cheste matère envoié au roy d’Engleterre. Nonpourtant si n’avons-nous encore autre certain entendut se il venra au royaume d’Allemagne; car jasoit che chose k’il ait, si comme on dist, les esliseurs de sen acord, sans le duch de Bauwière et l’archevesque de Trièves, si sanle-il à aucuns ki sont nient de raison, se li pape se voet meller de ceste besoigne, k’il pora faire roy, ensi comme à se volontei; car li archevesque de Couloigne et de Mayenche s’accorderont plainement là où il vorra, che tiènent aucune gent. Et licuens de Savoie, ki en court est présent, si comme nous entendons, est moult bien dou pape, et li sien ont en aucun tans le pape moult honnourei et avanchié, quant il fu en meneur estat: dont il sanle ke par ceste voie ki bien poroit avoir bonne fin, li pape doie et puist les gens dou roy de Franche amener 1865B à raison. De che volons-nous ke vous soyés avisei, pour plus discrètement aler avant en vos besoignes. Ches lettres monstrés à Jehan de Menin et à vostre secreit conseil; et soilés, pour nostre honneur et pour le vostre, songneus et diligent en le poursuite de vos besoignes. Encore volons-nous que vous sachiés ke, par le faute dou paiement dou roy d’Engleterre, ensi que vous poreis monstrer à ses gens, il nous a convenut à Yppre et à Douway faire paiement à diverse manière de gent, là ù nous estiémes obligié, et plus teneuement en iestes pourveu de monnoie.

Chier fil, nous vous faisons savoir ke, sour le point ke ches lettres furent faites et li messages se devoit mettre en chemin, le semmedi devant le Magdeleine, nous recheumes vos lettres à Gand, par lesquèles vous nous aveis fait savoir comment dou pape vous aveis estei requis et priesset à che ke vous mesissiés nos hesoignes en se main, et comment, 1865C oïe se requeste et entendues ses paroles, à le fie dures, à le fie moles, et eut conseil sour che avoech les gens le roi d’Engleterre, et délibération entre vos et vo conseil, et rewardées d’une part les raisons ki vous mouvoient à che non faire, et del autre part les causes ki mouvoient et devoient mouvoir, selonc l’estat dou tans et des besoignes ki ore sont, en le fin vous iestes enclinei, pour le plus seure partie, à se volentei, et vous iestes mis en lui de toutes nos besoignes, sauve nostre honneur et nostre estat, et sauves les allianches faites entre nous et le roy d’Engleterre; et de che a li pape fait faire un publike instrument. Laquel chose, puis ke ensi faire l’a convenut, nous acceptons, pour pis eskiuwer, meesment pour che ke nous avons aussi entendut ke les besoignes dou roy de France et d’Engleterre sont en se main pour tout acorder; car, ensi ke nos besoignes sont et vont aujourd’hui, nous n’arièmes pooir de vivre ne de 1865D durer. Si vous mandons, chier fil, ke vous, pour nostre estat et nostre honneur sauver et maintenir, et le vostre aussi, penseis, songniés et procurés, de nuit et de jour, par qoi ceste besoigne ait bonne fin, ke Dius par se gracie nous otroie. Nous vous envoions les II procurations saielées, et le lettre close au pape, ensi ke vous les mandastes, sans rien avoir mis, ne ostei. Item, chier fil, dou mariage de nostre fille au fil le roi d’Engleterre songniés et travilliés à vo pooir à che k’il soit sauvies, ensi k’il est ordenei et formei entre nous et le roi d’Engleterre; car, se autrement il en avenist, vous poeis veoir et savoir ke nous pierderièmes CCm livres de tournois que nous devièmes donner avoech 1866A no fille, lesquels li dis rois nous a pardonneis et quiteis. Item, aiiés remembrance des usures empétrer dou pape, ke li Crespinois d’Arras vorroient avoir de nous, se nous restièmes en no estat, asquèles nous soumes si fort obligié ke vous saveis, par qoi li pappe les nous relaist; et soient lidit Crespinois contemps de leur costeit à venir à boin conte de che k’il ont eut dou no, et ke nous leur devons; car, selonc che ke nos avons despendu en ceste guerre, nous n’arièmes pooir de ches usures payer; et, si comme vos saveis, nous ne les devons mie payer de raison.

Item, chier fil, penseis se nous sommes de notre yretage restavli, si ke nos seroms, se Diu plest, par qoi li pape nos pourvoie, là nos trairièmes se li rois nous faisoit fort: par qoi matère de descorde et de riote soit ostée entre nous et lui. Item, ke li rois ne nous ait pooir de destraindre à che ke toutes monoies ne puissent courre en no tiere: 1866B mais ke eles ne soient pieurs de chèles ki sont faites au piet de le monoie le roy, et ke nous puissiens nos monoies faites ès terres ke nous tenons del empire faire courre, sans le contredit dou roy, par toute Flandre, puis k’ele est aussi souffisans et plus ke li monnoie le roy. Item, chier fil, ayés en remanbrance ke li privilége et les frankises ke nous avons données, ensi comme par nécessitei, au tans de ceste wierre, à nos boines villes, pour aquerre leur bénivolense, ki pau nous a valut, soient cassei, meesment en tous les poins desdittes francises ki sont et seront trouvez contre droit et contre raison, par qoi, pour l’occoison de cheaus, toute matère de discorde soit ostée entre neus et nos hoirs et les boines villes devantdites Et sour toutes autres besoignes, chier fil, soiiés diligent et curieus de imfourmer le pape et cheaus ki bien de lui sont, par vous et vos amis, à che ke nos yretages nos soit sauvés. Item, souviègne-vous de pourveoir, 1866C se faire le poeis, ke nous puissiens faire en Flandre, en le partie dou royaume, monoie au piet de le monoie le roy, et milleur, liquèle puist avoir son cours au royaume; car à no grand damage, à tort et de lonc tans, si comme vous saveis, li rois nous a cassei nostre monoie ke nous devoms avoir de no droit, ki cours ne pooit avoir au royaume, par la forche le roy et le legièreté de se monoie. Encore vous envoions-nous, par un autre escrit, griés ke nos gent nous ont fait savoir k’on a fáit à nous et à no gent, chi-dedens enclos. Et sachiés ke mesire Joffrois de Genville et Willaume vos frères et no gent ont requis au connestable et à cheaus ki sont de par le roy, ke chil grief et pluseur autre ke nous ne vous envoions mie, fait à nous et à no partie, fussent en sauve main des II mareschiaus ki le triuwe doivent warder, duskes à dont ke li déclaration fust faite, là où il deust demorer par droit, tant soit nos drois clers; mais 1866D nous n’en pooms finir, ains est refusei et prendent à suer, et che meisme ke nous avièmes en no mains par-devant de le triuwe, de nos hommes ki mauvaisement nous ont laissiés et se sont trait par-devers le roy, nous pierdoms par le forche le roy, ki le fait prendre et lever apertement et les fait retraire sour le leur. Item, n’ouvliiés mie ramentevoir au conte de Savoie et à monsigneur Othe de Gransson, au traitié de ches besoignes, k’il avisent l’apostoile, ke se li rois avoit plain piet de tière en Flandre, légier est assavoir ke li remanans vaurroit pau à nos et à nos hoirs, quant il, as tant k’il n’i avoit riens, et il ne nous haoit nient, ne devoit haïr, riens ne nous pooit demorer; et 1867A sour cest article mesire Willaume de Mortagne parla au comte de Savoie, desdont k’il fu en Flandre, si comme vous li ramenteverés.

Donnei à Pethenghiem, l’endemain de la Magdeleine.

Cette lettre ne trouva plus Robert de Béthune à Rome. La mission qu’il avait reçue avait été terminée, au mois de juin, par la sentence arbitrale du pape Boniface VIII. On sait qu’en rétablissant la paix entre les rois de France et d’Angleterre, elle annulait toutes les conventions relatives au mariage du prince de Galles avec Philippine de Flandre, pour lui faire épouser une fille de Philippe le Bel. Philippine de Dampierre mourut de douleur dans sa prison: Isabelle de France devait la venger du parjure du jeune prince anglais, qui 1867B fut depuis le roi Édouard II.

Boniface VIII s’était fait remettre une déclaration par laquelle les fils du comte de Flandre lui reconnaissaient le droit de prononcer souverainement sur leurs réclamations et sur leurs griefs. Ils n’avaient osé la lui refuser, quoiqu’ils n’y consentissent qu’à regret et pour éviter de plus grands malheurs, et, en ce moment même, ils multipliaient leurs démarches près des ambassadeurs anglais, pour qu’ils ne les abandonnassent point.

Quatre lettres, écrites à Rome, offrent sur ces négociations les détails les plus complets.

Dans la première, les fils du comte de Flandre racontent comment, après avoir pris l’avis des 1867C ambassadeurs anglais, ils ont consenti à se soumettre à l’arbitrage du Pape:

Très-chiers sires, nous vous faisons savoir que le jour Saint-Barnabé nous venimes devant le Pape, à relevée, à sen commandement; et là furent les gens le roy d’Engleterre: c’est à savoir li archevesques de Duvelines li évesques de Winciestre, li cuens de Savoie, li cuens de Bar, mesires Ottes de Granson. Et nous donames au pape l’escrit del information des griés que li roys de France vous avoit fais, qu’il avoit oïe de nous. Et li monstrames encore un estrument publique des paroles que li évesques d’Amiens et li évesques dou Puy avoient apportei à vous à Courtray, ouquel estrument il est contenu que, après le dénuntiation que vous aviés faite au roy de ce que vous vous teniés délivré et desloié de toute obéissance et de toute subjection, il offrirent, de par le roy, à faire droit à vous par vos pers des meffais que vous 1867D aviez meffais envers le roy, ne n’i avoit mie contenu qu’ils vous offrissent droit à faire des griés et des injures dont vous vous doliés dou roy, ne d’autre cose. Par quoi on monstroit encore le durtei et le défaute dou roy. Et fu chis estrumens monstrés au pape, al information de lui, pour ce que li message de France, par fauseté et par mençoigne, quant ils virent que raisons ne leur pooit aidier, donnèrent à entendre au pape que de toutes vos besoingnes 1868A li roys vous avoit adiès offiert à faire droit par vos pers, et que vous l’avies adiès refuset. De quoi li papes fu auques meus encontre vos besoingnes, tels fois fu et en parla à auchuns cardenaus. Et nous li monstrames au contraire, et par le devantdit estrument, que tant de raison n’aviés-vous mie trovei ou roy, que, après ce qu’il vit que si grandement et en tant de cas vous vous plaingniés de lui, il vous euist offert droit de ce, ne d’aultres coses. Et bien desimes au pape que, ou fait que li roys vous grevoit d’estat et de honneur et de hiretage, et si grandement que la cose appartenoit à le cognissance et au jugement de vos pers, vous le requesistes humelement qu’il vous en fesist raison, et l’en poursuivistes par maintes fois, et n’y trouvastes ne raison, ne mesure. Et puis vous li demandastes le droit de vos pers; et ce, ne autre cose qui à droit ne à raison appertenist, vous ne peuistes onques traire de lui, ne trouver, et en avoit-il et ses consaus si grant indignation, et en 1868B prendoit si grant félonnie envers vous, que adiès vous faisoient pis que devant. Li message le roy de France sont li archevesques de Nierbone, li dux de Bourgoingne, li cuens de Saint-Pol, mesires Pières Flote, maistres Jehans de Chevery, archediaques de Roem, et mestres Jehans de Menterolles , cantres de Raims. Après, li apostoles nous mist avant une parole, et nous requist que vo besoingne nous li mesissiens en main, et il i rewarderoit vo honneur et vo estat, et dist que autrement il ne véoit mie qu’il vous peuist aidier. Et ce faisoit-il pour ce qu’il peuist avoir entrée et voie de vous aidier encontre les François. Sire ceste parole nous sanla de moult grant pois. Et nous li desimes que li roys d’Engleterre et vous estiés par boine cause alloié, et que là estoient se message, sans lesquels nous ne poiens, ne voliens, ne ne deviens riens faire, et qu’il li pleuist que nous nous peuissiens consellier à eaus et à nos 1868C gens qui estoient avoec nous. Et il le nous otria jusques à l’endemain à le relevée. Le matinée, sire, nous venimes al hostel l’archevesque de Duvelines, et monstrames à lui et as autres dou consel le roy d’Engleterre le besoingne et ce qu’il en avoient oï, et leur requisimes consel, comme à chiaus qui devoient estre tout un avoecques nous. Sour ce, sire, il se consellirent à par eaus, et nous respondirent, sire, ne mie comme li consaus le roy d’Engleterre, mais chascuns à par lui comme amis: que périlleuse cose estoit dou faire le requeste l’apostole, et périlleuse dou laissier, et qu’il n’en savoient que consellier pour le mius; et dist premiers li cuens de Savoie, pour lui meismes, et tout li autre l’ensuiirent en ceste fourme: «Li roys de France, qui priès de vous est, et a grant haine sour vous, et est poissans hom, a prins, et tient pardevers lui, moult grant partie de vo terre, et cil qui demouré sont avoecques vous, 1868D ne vous sont mie tous bien certain. Et vo ami de dehors, si comme li dux de Brebant et li autre, sont bien kierkiet et ensoingniet, et vous n’iestes mie moult warnis de gent, ne d’avoir. Et li roys d’Engleterre, parmi ce qu’il a à faire en Escoche, en Gascoingne et en Engleterre meismes, là où tous ne s’accordent mie bien à se volentei, ne se partira jamais d’Engleterre, ne ne vous envoiera jamais, ne ne porra faire secours tel qu’il vous 1869A «puist aidier, ne cil de Gand, ne de vo pays ne recheveront jamais volentiers les Englès, Et se vous ne faites le volentei l’apostole, vous perderés le graze de lui et de le court de Rome, qui est grans cose et lequèle vous avez bien à tenir, et tout ce vous pora tourner à grant meschief.» Ne plus ne nous vaurent dire, et tout ce rewardons-nous en vo besoigne, et d’autre part grant péril peut avoir à mettre si grant cose en volentei d’autrui. Sour ce nous partismes d’iaus, et euismes consel des chevaliers et des clers que nous aviens adonc avoec nous. Et à relevée nous venismes devant le pape, et li monstrames le grant fiance que vous aviés en lui, et comment vous vous asseuriés bien de vo droit, et comment il estoit en lieu de Dieu en terre, et souverains dou roy de France, en espirituel et en temporel, et li demandames qu’il nous fesist droit contre le roy de France. Et, pour droit avoir et droit faire, li offrimes-nous à mettre votre besoigne en main, 1869B comme en main de juge et de souverain. Et dist le parole Phelippes, nos frères, bien et biel. Li papes respondi tantost tèle response, que c’estoit à lui mettre ou content contre le roi de France, dont il n’estoit mie prins orendroit, mais bien estoit voir que souvrains estoit-il dou roy de France, en espirituel et en temporel. Et ne li pleut mie ceste response que nous feismes, et dist que nous n’estiens mie bien conselliet d’ensi respondre, et nous dist encore que nous nous consellissiens mius, et que nous nous consellissiens autrement, se nous quidiens que boin fust. Et dist encore que, quelque nous desissiemmes, pour ce ne demouroit mie que il ne fesist le pays entre les deux rois, et que l’aliance il desromperoit, et le pooit bien faire. Et quant li roys et vous jurastes l’aliance, chascuns de vous se parjura ce faisant, et li roys de France ausi, quant il le jura, et bien le dist à leur mesages. Sour ce nous euismes encore consel as gens le roy 1869C d’Engletière; après nous euismes consel à vo gent et à le nostre qui là estoient. Et a grant prière nous pourcachames délay dusques à l’endemain. Et li papes le nous ottria à relevée l’endemain, c’est à savoir le venredi après le jour Saint-Barnabé. Après nous assamblames vo consel avoec nous trois frères: c’est à savoir le prévost de Losane, monseigneur Bassian, le seigneur d’Escornay, monsr Gerart dou Verbos, le castellains de Douay, monsr Jehan de Menin, monsr Gillon de Renne, monsr Ponchart de Florence, monsr Watier de Ways, monsr Robert de Lieurenghien, monseigneur Rasson Mulart, le prévost de Biéthune, monsr Michel As Clokètes et maistre Jaque Bieck. Et rewardames moult diligianment le besoingne, à grant mésaise et à grant meschief de coer que nous estions. Et nous sanla tous que li menres perius estoit de mettre toute le besoingne ou pape, sauve vostre honneur et vostre estat, comme en le main de celui 1869D qui estoit en lieu de Dieu en tière, et en le grant fiance que vous aviés en lui, et ou boin droit que vous aviés. Et ce meisme nous loêrent li cuens de Savoie et mesire Ottes de Gransson, asquels nous en parlames derechef, ce meisme jour devant mengier. Et ensi le fesimes-nous à relevée, présens les gens le roy d’Engleterre qui deseure sont nommei, et par leur otroy, et sauve l’aliance dou roy d’Engleterre et de vous, et présent monseigneur G’érart de Parme et monsr Mathieu d’Aigue-Esparsse et monsr Néapolion, cardenaus. Et dist li papes moult larguement et de grant volentei, que 1870A vo droit et vo honneur il vous warderoit, et là où drois vous fauroit, ou la cose scroit en doute, il vous aideroit de se graze, et en toutes aultres manières à sen pooir, et avant il vous donroit une ausi boine contei comme la vostre, ainsçois qu’il le donnast au roy de France; car trop avoit de tière li roys de France. Et de ces coses li papes a fait faire un publique estrument. Sachiés, sire, nous nous aidons bien de Philippe no frère, et nous en aiderons encore mius, si Dieu plaist.

La seconde lettre développe les motifs qui ont guidé Robert de Béthune et ses frères dans la détermination qu’ils se sont vus réduits à prendre, sans pouvoir consulter leur père.

Sire, quant li papes nous mist avant que nous mesissiens en se main vo besoigne, nous en fumes moult esbahi; car il convenoit à force se requeste refuser ou otrier. Et pourquoi il le fesist boin refuser, 1870B nous et tous nos consaus rewardames les raisons qui s’ensuient. Premiers, que grans perius estoit de mettre si grosse chose en volentei d’autrui, se ne fust en homme de qui on se peuist assurer autant comme de lui-meisme; après, que li papes vous estoit estraingnes hom, et tant savoit que, s’il vous voloit grever, il saroit bien trouver cause et ocquison de quoi il s’escuseroit et deffenderoit; après, que par lui vous et vos églises estiés moult grevés, par les subventions et dismes qu’il avoit otriés au roy de France, et le faveur ke il li avoit; après, que li papes, si com on dist, est uns hom convoiteus, et que li roys sans comparison avoit plus grant pooir de lui servir dou sien propre, et, s’il ne l’avoit, des biens des églises que vous. Et de l’autre partie que nous devissiens ottrier se requeste, nous rewardames les raisons que li cuens de Savoie et les gens le roi d’Engleterre nous misent avant; c’est à savoir: le pooir 1870C le roy de France, et ce que il vous estoit priés, et avoit par deviers lui et tournei encontre vous si grant partie de vo tière et de vo gens que vous savés, et le grant coust qu’il vous convenroit mettre à warnir les villes et les lieus qui vous sont demouré, et à vous deffendre, le défaute de deniers et d’avoir pour tel wiêre maintenir, et del aive dou roy d’Engleterre et del aive dou duch de Brebant et des Alemans, là où il vous convenroit mettre plus grant mise que vous ne poriés soutenir, s’il vous voloient encore aidier, le défaute dou roy d’Alemaingne que li papes meismes nous dist bien que il le feroit tenir tout quoit, s’il s’en voloit encore meller, et que li pape avoit, sicomme il nos dist, teus trois ou teus quatre prélas en Allemaingne, dont chascuns, à par lui, aroit bon pooir de lui ensonier, se li papes voloit. Et rewardames aussi que li papes disoit que tout sans nous il feroit le pays entre les deux roys, et que vous tous seus demouriés en le wière, et 1870D que cil de vo pays qui estoient demouré avoeques vous, ne vous estoient mie tant bien certain, et que, se on fust alé avant par voie de jugement on par arbitraige pour droit faire, si vous peuist li papes moult grever, de quoi vous ne peuissiés estre adreciés. Nous rewardames ausi le diffamation de vous, que on diroit que vous vous efforceriés de tenir en esmeute toute le crestienté, et le couroue et le indignation dou pape, et que vous aviés bien à faire et piècha aviés eu de sen dangier et de tenir sen grei pour moult de causes, et pour une raison entre les autres que vous et vos consaus 1871A savés bien, et là où li papes, s’il se mouvoit, prenderoit assés tost occasion pour se wière qu’il maintient, et là où il seroient trestous. Et rewardames ausi que, se auchune sentence d’escumuniement ou d’entredit venist de par lui encontre vous, ou pour çou ke cils ke met se besoigne en plait, comme clère ke ele soit, il est en aventaige, s’auchune des sentences qui sont gietées fust approuvée. Nous rewardames ke cil de vo pays li plus grans partie, fust tors, fust drois, prenderoient ocquison de partir de vous; et se vous courciés le pape, vous ne sariés où traire pour confort. Et une parole dist li sires d’Escornay, devant nous et devant tout no consel, quant il se parti dou pays, li plus gros dou pays, et qui mius vous amoient et l’estat de le tière, li disent en ceste manière: «Vous en alés à Roume, wardés que nous ne retournés mie sans faire pays, quèle qu’ele soit, ou, se ce non, mesrrés estre hounis.» Et si rewardames 1871B l’aloiance ke on porcache, et pour le roi dou conte de Hollande encontre vous, si comme vos nos aveis mandé, et tous li pays. Nous rewardames aussi que devant tout le boine gent, si comme devant les cardenaus et les messages le roy d’Engleterre et nous et no consel, il nous promist qu’il vous sauveroit vo honneur et vo estat, et rewardames que par ces paroles il convenoit que vous reussiés toute vo tière, et en tel estat que francement et paisivlement vous le peussiés tenir, et que riens ne vous fust a nenri, par quoi il apparust que vous fuissiés de riens meffais contre le roy.

Et toutes raisons rewardées, les unes encontre les autres, par le conseil de toute vo gent et des gens le roy d’Engleterre et de maistre Gérard de Parme et maistre Mathieu d’Aigue-Esparsse, et par l’avis de nous trois frères meismes, nous de coer courcié, quel sanlant que nous en feisiens devant le pape, pour seu gré tenir, nous nous acordames à otrier le 1871C requeste le pape, comme en le mains périlleuse partie des deus; car l’une ou l’autre nous convenoit-il prendre, et sans arrest, ne n’en peuismes eschapper. Et volentiers euissiens eu tant de délai que nous en peuissiens avoir envoié à vous, pour le grandeur de le besoingne; ma s en nulle manière nous n’i peuismes avenir, ne que d’avoir respit une toute seule eure outre ce que nous avons chi estei. Sire, nous avons livrei au pape no procuration pour vous; et encore en veut-il avoir une autre pour plus grande seurté de le besoigne; car, quant à lui, li soufist bien li procurations qui li est ballié; mais encore veut-il avoir une selonc le transcrit que nous vous envoions enclos en ces letres. Si i ferés mettre le date dou jour que vous ferés saieller cèle procuration, et les nous envoierés sans délay. Et sachiés que pour ce ne demoura mie ke le papes ne voist avant en le besogne, ce pendant, pour ordener et terminer le besoigne, si comme il nous a dit.

1871D La troisième lettre, rédigée en forme de mémoire, reproduit le récit de l’audience accordée par le pape, le 25 juin 1298, aux fils du comte de Flandre, et les paroles prononcées en leur nom, afin que Gui de Dampierre fût compris dans le traité de paix des rois de France et d’Angleterre.

L’an de l’incarnation mil deux cens quatre vins dis-wit, merquedi, c’est asavoir l’endemain de le Nativetei saint Jehan Baptiste, au matin, mesires Robers, ainsnés fils ou conte de Flandres, mesires Phelippes et mesires Jehans de Namur, fil et message audit conte, vinrent devant le pape, en se cambre à Sains-Pière, et amenèrent avoec eaus le seigneur d’Escornay, le castellain de Douay, monsr1872A Gérart dou Verbos, monsr Jehan de Menin et un seigneur de loy que on appielle monsr Bassian, et i furent ausi présent devant li pape li message le roy d’Engleterre: c’est à savoir l archevesques de Duvelines, li évesques de Winciestre, li cuens de Savoie, li cuens de Bar, mesires Ottes de Granson et mesires Hues de Vier. Et là furent monstrées pour le conte de Flandres au pape, en le présence de toutes les personnes devantdites, tels paroles: «Sire, pour ce que li cuens de Flandres n’a peu droit avoir ne raison dou roy de France, et qu’il a tant esté fourmenés par le roy, si est la cose à tel desconvenue et à tel meschief tournée, com il pert, si chil qui chi sont ont le besoingne par vostre volenté, sauve le honneur et l’estat dou conté et l’aliance qui est faite entre le roy d’Engleterre et lui, de qui il ne se voelent partir, mise en vostre main, com en celui en qui il ont fiance souverainement et avant tous, et vous l’avés emprinse. 1872B Or entendent, sire, que vous véés faire le pais entre le roy de France et le roy d’Engleterre, sans le conte, ne eaus mettre ens à ore; laquèle cose seroit trop griés au conte pour moult de raisons. Premièrement, que li cuens s’en demourast en le wière, et fust afoiblis de tèle aiuwe et de tèle aliance comme dou roy d’Engleterre, liquèle a esté faite et jurée par boinne cause et par boinne raison, et encontre celui qui droit, ne raison n’a volu faire. Après, sire, pour ce que li triuwe a esté prinse entre les deus roys, et se pais est entre eaus, il sera à douter que li roys de France ne tiègne nulle triuwe au conte, car il ne li a nulle en convent, mais au roy d’Engleterre, sans plus pour lui et pour ses aloiés; et, se pais est, dont n’a li triuwe nul lieu, et parmi tout ce que li triuwe dure encore, et que li roys d’Engleterre se melle pour faire tenir, si l’enfraint li roys de France et se se gent, tous les jours et en moult de cas, que on poet clerment monstrer. 1872C Après, sire, se li cuens demeure hors de le pays, cil de se pays qui à lui se tiènent s’en poront desconsentir et descourager. Cil ausi qui n’ont mie le coer bien ferme avoec le conte, poront prendre coer d’iaus tourner contre lui, et meisment cil qui, avant que li wière apparust, eurent traitiet et convenence au roy, et prisent lettres de lui, si comme il vous a esté autrefois monstre. Et avoec tout ce, sire, si sera-ce grans diffamations et grans laidure au conte, et mains l’en priseront et douteront se anemi; et porra li cuens chaïr en grant péril. Et quant li cuens vous voet de tout obéir, li roys de France, qui droit ne veut prendre par devant vous, ne ne se veut mettre on vous, ne par mise, ne par composition, ne par ordenance, ne par traitiet, ne doit mie porter tel avantage dont li cuens fuisse chaïr en si grant peril ne en si grant meschief de sa besoingne. Se vous prient et requièrent que vous, en qui li 1872D cuens et il ont toute leur fiance, i metiés tèle remède et tel consel qu’il affiert; car, sire, le pais ne refusent-il mie, ne ne voellent empeschier; mais il prient que leur pais soit faite avoec le pais le roy d’Engleterre, et qu’il ne demeurent mie sans lui en le wière, pour raison devantdite; car, sire, se vous faisiés le pais des deux roys, se convenroit-il que li roys d’Engleterre s’en mellast de le wière, et aidast le conte encontre le roy, à cui il aroit fait pais, comme aloiés le conte. Et à vous, segneur, qui estes de par le roy d’Engleterre, requièrent-il que vous parliés à no saintpère qu’il face nostre requeste, et que no pais soit faite avoec le vostre, et que vous ne voelliés mie que nous seriens desevré de vous; car de vous nous ne volons mie partir, ne de l’aliance qui est entre le roy et monseigneur; ains l’avons 1873A expresséement retenue en le mise à tous jours, et tant soit-il ensi que nous vous otriames à faire mise, pour ce ne vous otriames-no mie à faire, ne à prendre pais sans nous, et à nous laissier en le wier. Laquèle cose de faire pais sans nous, vous ne poés, ne ne devés faire, par le raison des convenences qui sont en l’aliance. Et vous requérons encore qui nous tiegniés le convenance le roy, à warder le sien honneur et le vostre, tel gent que vous estes.» Ces paroles dites, li archevesques de Duvelines dist au pape: «Sire, nous vous prions que vous faciés no pais avoec le pais le conte,» et li autres l’ensuivirent. Aprères ces paroles, li papes s’esmeut à se volenté, et dist que pour ce il ne laroit mie à faire le pais entre les deus roys.

La quatrième lettre, qui retrace également les efforts tentés près de Boniface VIII, nous apprend 1873B qu’ils ont été stériles: elle annonce en effet, par quelques mots ajoutés à la hâte, que le pape a prononcé au palais de Saint-Pierre la sentence d’arbitrage qu’il a refusé d’ajourner plus longtemps.

Très chiers sires, nous Robers, Phelippes et Jerhans vo fil, vous faisons savoir pour vérité et pour certain, que l’endemain dou jour de le Nativitet saint Jehan-Baptiste nous fumes avoecques les gens le roy d’Engleterre devant le pape, et li monstrames, pour ce que nous aviens entendu que il entendoit à faire le pays entre le roy de France et le roy d’Engleterre, sans vous mettre en le pays, les griés qui vous en poroient avenir, et li priames que il ne le vausist mie faire, et qu’il li pleuist attendre dusques à donc que li vostre pais fust apointé, et que les pais se fesisent toutes ensanle, pour moult de raisons. Et requesimes as gens le roy d’Engleterre que à ce il vausissent travellier, pour le honneur 1873C dou Roy et d’iaus meismes, et pour le raison de vous: car tant fust-il ensi que nous fuissiens assenti qu’il peuissent mettre leur besoingnes sour le pape, pour ce ne leur otriames-nous mie que sans vous il fesissent pais, et vous laissassent en le wière et ou débat, ainsçois leur contre-désires, et que tèle estoit li obligations de l’aliance entre le roy et vous, liquèle fu faite dou roy et de vous, pour vos drois à deffendre encontre le roy de France, de qui vous ne poiés avoir eu droit. Li message le roy requisent illeuc au pape que leur pais et le vostre il fesist tout ensanle. Li papes, nos paroles oïes, nous respondi dur, et dist que nous estiens mal conseillet, et que, pour le contei de Flandres, il ne lairoit mie à faire le pais des deux roys, et que le pais il feroit et pronuncheroit entre eaus, et, se aucune cose i avoit encore à dire, qu’il diroit en un autre tans, et le truwe de vous et des aloiés il feroit tenir, et de vo besoigne il ne pronunceroit nient 1873D orendroit, car il convenroit que par autre voie il vous aidast. Et dist encore, se nous nous repentiens de ce que nous aviens mise vo besoigne sour 1874A lui, il s’en osteroit volentiers de tant comme à vous, mais le pais des deux roys ne lairoit-il, ne ne targeroit à faire pour nullui. Et tenés, sire, pour certain que li pais sera faite, dedens ceste semaine où nous sommes, des deux roys. Si rewardés, sire, à vo pais et à vos besoingnes, ensi que vous quiderés que boin sera, et ne vous esmouvés de nouvielle que on vous die, qui d’autrui vous viègne que de nous; car nous vous en ferons adiès savoir le vérité. Et meesmement avens espérance de bien besoigner, mais aucun délay i sera, et pour Dieu, sire, pour ce ne laissiez mie que vous ne nous envoiez les deux procurations que nous vous avons mandées, si chier que vous avés vo besoingne et vo honneur, et le aive et le graze dou pape, et ces procurations nous vous mandames par Ghiselin et Cambier, vos propres messages, qui vos lettres nous apportèrent, et murent de Rome le jour de le Nativité saint Jehan-Baptiste. Sire, celui jour de le 1874B Nativité, au soir, nous rechumes vos lettres que Micheles, nos messagiers, nous apporta, qui parolent dou segneur de Saint-Venant, et d’autres qui doivent estre venu ou avoir envoiet à Rome, pour diffamation de vous, et pour grever chiaus qui avoeques vous se tiènent. Sachiez, sire, c’est une cose qui ne fait mie moult à douter, selonc ce que nous entendons, et nous en serons moult bien sour no warde: il i a bien venus gens de Bruges, Graut Cant et Pol de le Walle: li castellains de Bergues est outre passés en Puille, et des autres nous ne savons nient. Sire, pour lo haste de le besoingne des roys, nous ne vous escrisons à ore autre cose, et ces coses, sire, faites savoir à medame et là ou vous quiderés que boin soit. Sires, puis ke ces letres furent escrites duske à lui, nous eumes consel d’atendre encore pour savoir quier li dis se joroeroit des dois rois, lequel dit li papes le venredi matin ensuivant après, pronuncha 1874C en le manière qui est contenue en un escrit chi dedens enclos. Sire, Nostres-Sires soit warde de vous.

Escrit à Rome le samedi vegille saint Pière et saint Pol.

Peut-être les fils de Gui de Dampierre accusèrent-ils le comte de Savoie de les avoir secondés avec trop peu de zèle. On leur reprocha du moins d’avoir fait entendre des plaintes assez vives; et, comme ils voulaient rester fidèles à l’alliance d’Edouard ler aussi longtemps qu’il y avait quelque espoir de la conserver, ils crurent devoir démentir les paroles qui leur étaient attribuées.

Le lundi après le jour Saint-Piere et Saint-Pol , à eure de viespres, mesires Robert de Flandres, mesires Phelippes et messires Jehans de Namur, fil au conte de Flandres, vinrent au palays 1874D de Sainte-Sabine, en l’ostel le conte de Savoie, et parlèrent audit conte et al archevesque de Duvelines, à monsr Otte de Gransson, et monseignr Hue 1875A de Vier, messages le roy d’Engleterre, en ceste fourme, et si fu avoec eaus, des gens de Flandres, li sires de Escornay, li castellains de Douay, et Jehans de Menin: «Seigneur, on nous a donnei à entendre que vous avés entendu que auchunes dures paroles et estraingnes ont esté dites de nous et de no gens encontre vous. Nous vous prions que vous ne le créé mie; car il n’est mie ensi, ne talent, ne volentei n’en avons eu, ne se arons. Voirs est que li papes a prononchiet un dit entre le roy de France et le roy d’Englettere, ensi que vous savés, où il a auchune durté encontre nous: encontre le dit nous ne disons nient. Bien avons espérance que li cose venra à bien al aive de Dieu et parmi le boin droict que nous avons. Vous savés les aloiances et les convenances qui sont entre le roy et monsr de Flandres. Nuls descors n’en a estet, ne mise faite, et là n’appartient nuls dis. Nous créons certainement et avons bien fiance que li roys les tenra pour se loiauté et pour 1875B se honneur, et ce li priera et requerra adiés mesires. Et nous vous prions que vous i metiés vo aive et vo boin conseil, et que là où vous porés vous nous voelliés tenir boni lieu. Et ensi vauriens-nous faire à vous, là où nous ariens le pooir comme à nos boins amis.» Et il respondirent qu’il le feroient volentiers, et pourcaceroient à leur pooir le bien le conte et désirant en estoient de boin ceer, et que encore n’estoit mie par le dit li besoingne mise à se fin.

La sentence arbitrale du pape ne renfermait aucune réserve en faveur du comte de Flandre. Dans une bulle séparée et fort courte, le Pape s’etait borné à proroger les délais de l’appel interjeté par Gui de Dampierre, afin de pouvoir poursuivre plus tard l’aplanissement des difficultés. Cette bulle 1875C était ainsi conçue:

Bonifacius episcopus, etc. Dudum inter karissimum in Christo filium nostrum Philippum, regem Francorum illustrem, ex parte una, et dilectum filium nobilem virum Guidonem, comitem Flandriae ex altera, super certis articulis dissentionis materïa, litibus etiam et contestationibus exortis, plures appellationes pro parte ipsius comitis et ei adhaerentium fuerunt occasione hujusmodi ad sedem apostolicam interjectae. Nos autem certis ex causis quae ad id rationabiliter nos inducunt, volumus ut hujusmodi appellantibus tempora prosequendarum appellationum et juris statuta non currant, et quod omnia super quibus appellatum est, et illa contingentia, in eo in quo nunc sunt statu consistant, donec super hiis aliud duxerimus ordinandum.

La mission de Robert de Béthune et de Jean de 1875D Namur était terminée. Tandis que Philippe de Thiette se rendait dans le midi de l’Italie, espérant encore de pouvoir servir la cause de son pére en se rendant utile à celle du pape contre Frédéric d’Aragon, ils reprirent tristement la route de la Flandre, Ils avaient épuisé toutes sommes qui 1876A leur avaient été confiées, et ie 30 juillet, afin de suffire aux frais de leur voyage, et au payement de quelques dettes qu’ils avanient laissées à Rome, ils recoururent à Florence à un emprunt de 4,000 florins d’or, que Gui Bardi, qui s’intitulait chevalier aussi bien que les Louchard d’Arras, leur avança à l’intérêt de 4 p. 0/0 par mois. Une fièvre ardente, résultat des inquiétudes et des fatigues, avait saisi Robert de Béthune: à peine parvint il à traverser les gorges du Mont-Saint-Bernard et à atteindre Lausanne, où il dicta, le 27 aoû, son testament.

La lettre suivante fut écrite à Lausane par Robert de Béthune: il annonce à son père sa maladie et les retards qu éprouve son retour en Flandre:

A très-haut, très-noble et très-poissant sen très-chier seigneur et père, Guy, conte de Flandre et marchis de Namur, Robers, ses aisnés fils, salut amour et obéissance de fil.

Très-chiers sires, autre fois avons fait demouree ou chemin de venir à vous plus longe que nous ne quidiens par le maladie de nous et de no frère, qui est, benois soit Diex, tout nètement waris, et je meismes en estoie en assés bon point; or, me reprist, cest mercredi qui passés est, entrens que je passoie le Mont-Saint Bernart et avoie geut à Aoste et vinc gésir a Saint-Brantier, une fièvre qui adieès puis m’a tenu aigrement double tiertène, si que je ne me puis partir de Losane, là où je sui, dusques adonc que Diex me ara mis en autre estat. D’autre part, chier sire, au partir de Rome mestre Jaquèmes, Bieck nous kierka deus lettres de vos appiaus, lesquèles nous fesimes warder pour apporter à vous. 1876C Faites, s’il vous plaist, rewarder à vo consel, parquoi vous en usés avant que li mois d’octembre commence, si vous n’avés usé d’autre lettre sanlant à ceste, ou qu’il doive soufire à vos besoingnes, ou ce non, desdont en avant vous ne vous en poés aidier, ne del appiel, quant à ces lettres, pour lettrespas de l’année dont lesdites lettres parolent en le date. Et nous le vous envoions en haste, pourceque nous ne porons mie venir à vous si tost que nous aviens en pensée. Sire, si emparlés tost à vo consel. Sire, nous entendons par chiaus qui viènent de le cour de Rome, et qui murent puis que nous en partismes, que pays est entre le roy de Sécille et Frédéri d’Arragone, mais nous ne savons mie le certaine fourme comment.

Le 6 septembre, Robert de Béthune et Jean de Namur étaient arrivés à Besançon, où ils se virent de nouveau réduits à un emprunt. Peu de jours 1876D ils, adressaient de Baume à Jacques Beck et à Michel As Clokettes, qui étaient restés à Rome, une lettre que nous croyons devoir reproduire:

Robers, aisnés filz le conte de Flandres, et Jehans, sires de Namur, fils audit cout, à leurs boins maistre Jaque Bieck et mons Michiel As Clokètes, 1877A demourans en le cour de Rome pour ledit conte, salut et boine amour.

Nous vous envoions, adjoint à ces lettres, le transerit d’une lettre que Jehans de Menin, chevaliers, rechut de no chier segneur et pére devantdit, à Plaisence, èsquèles lettres vous verrés et voires est, qu’il a plusieurs coses qui portent grant grief à monseigneur, et dont il est grans mestiers que li ententions no saint-père le pape soit seue et manifestée et wardée, et que li évesque de Vincense, ou autres hom souffissans, soit tost ou pays, por faire tenir le truwe ou le soufrance, et pour faire adrecier les entrepresures que on a fait et fera al encontre, et pour mettre en estat deu. Si vous mandons et prions que à monsegneur de Parme, à cui nous envoions lettres, et à nos autres amis et au pape vous parlés et faites parler, et pourcachiés que il i mette remède hastivement, car li cose est en grant meschief et en péril, et ne poet longuement demourer 1877B ensi; et al information de vous, nous vous ramentevons et mettons à mémoire sour les articles qui sont contenu es devantdites lettres: premièrement, de le présentation des bénefices no sains-pères li apostoles a ordené que les coses demeurent en pendant et sans préjudice, dusques à dont que on porra veir comment on ira avant, et quel fin on porra mettre à le question principal, qui est entre le roy et monsegneur, de lequèle li papes par se grâce se veut entremettre. Or sanle-il, bien par raison que sour ce li prélat ne doivent riens faire ou préjudice des présentations, et de chiaus qui doivent présenter et de chiaus qui vauront présenter, et que li volentés dou pape doit apparoir sour ce par se bulle, et que sour ce ait-on exécuteur de par lui, ou autrement li prélat aront cause de non savoir le volenté dou pape sour ce. Item, d’endroit les aires de chiaus qui ne se sont rendu au roy et se sont tenu avoec no chier segneur et père, et de leurs biens qu’il ont 1877C tenu en le obéissance de no chier segneur, devant les truwes, c’est apperte oevre que cil de Franche font contre le truwe ou contre le soufrance, et de oe qu’il veulent dire que, puisqu’il ont Bruges et Courtray ou autres boines villes en Flandres, il doivent avoir le castélerie et le pays entour, come les membres sivans au chief, il ont tort qui ce dient et troevent ocquisons cavilleuses, qui ne sont mie fondées en raison, comment il puissent aler contre le truwe et faire fraude as convenences de le truwe, car voirs est, et vous savés, Bruges est une ville francie par les anchisseurs no chier segneur ut père, et par monsegneur meismes, dedens les certaines bonnes qui i sont, il a eschievins et administreurs qui hors des bonnes n’ont ne cognissance, ne jugement, ne administration, no pooir nul, ne de riens ne représentent le université dou pays dehors, ne de leur cors ne sont, ne obligier ne les poent, ne faire fait ne meffait dont il soient tenu, et, s’il se rendirent au roy par leur malice ou de leur volenté, 1877D ce ne touke riens à chiaus de dehors, et pour ce n’a riens li roys conquis sour chiaus qui ne se sont rendu ou trait à le partie le roy, ne à monsegneur cui li ville est et li pays, sans qui s’en il ont fait accort au roy, et qui n’estoient mie en lieu le comte, ne pooir n’avoient de riens faire ou nom dou conte qui en sen préjudice deuist estre, à cui il despleut ce que cil de Bruges en fisent, si tost comme il le seut, et desplaira à tousjours. Et cil de la chastèlerie et dou pays de Bruges sont uns autres cors, 1878A tous desevrés de chiaus de Bruges, et ont eschievins à par eaus, et eschevinage et loy et coustumes autres qui cil dedens. Et tout ensi est-il de Courtray et de Lille et des autres villes et des chastèleries dehors. Et ces coses sont notores, et vous les savés, qui estes dou pays, par quoi cil des chastèleries et dou pays dehors ne doivent porter, ne sivir le fait de chiaus dedans les villes, et nient plus que cil dedans le fait de chiaus dehors, car, ensi com dit est, il sont tout d’autres conditions et d’autres loys li un as autres, et ont autres jugeurs et autres administreurs. Item, dou fait de Rosnay, il oevrent encontre le truwe, car mesires en fu saisis au commencement de le truwe, et encore puis que débat i a entre les deux eswardeurs de le truwe, mesires a effiert et vauroit que la cose fust tenue en main commune le débat durant, ne sour le segneur de Nielle il ne s’est riens mis, ne ne vauroit mettre. Dou renouvèlement des sentences le évasque de 1878B Tournay, il s’en deveroit bien soufrir le question pendant. car, tout soit-il ensi que li papes en ait donné juges, se convenra-il en le poursuite dou plait touchier et esmovoir le question principal qui est entre le roy et monsegneur, et c’est encontre l’entention le pape, qui veut que pour ceste cause nuls tans ne coure des appiaus. Et de ce, s’il plaisoit au pape, seroit boin avoir se bulle et exécuteur, et nomméement de ce que il constraint les appielans et les aherdans à renunchier as appiaus: laquel cose est moult encontre le révérence et l’obéissance qu’il doit et a jurée à l’église de Rome, et chis evesques a fait moult de outrages et fait tous les jours, et tout ce fait-il sour le fiance dou roy, et dou grant avoir qu’il a tolu et reubé en la terre de Flandres par se évesquié, et moult vauriens que on le peust troubler au pape, et que li papes li donnast à soufrir, car il l’a bien désiervi. Item d’endroit les deus cincquièmes que li roys veut avoir et les aires qu’il en fait, li ententions le pape est que li 1878C roys ne les ait mie, ains soient paiet au Temple. Se li papes voloit de ce donner lettres, par quoi no gens ne fuissent mie destraint par le roy, ne par ses gens, qui sont leur anemi et li no, et mander a no chier seigneur et père que vous et nous aidissiens ces exécuteurs à ce faire lever par no pooir séculer, il feroit bien, et nous en feriens apparliement le volenté dou pape. D’endroit le délivrance dou seigneur de Blanmont et des autres quo on tient encontre le convenence de le truwe, pour le roy d’Escoce, c’est une escusance qui n’est mie vraie, car dou roy d’Escoce ne fu onques parlei, et si grosse cose et si notable comme dou roy d’Escoce ne doit mie estre entendue en généraus paroles de le délivrance ou de le récréance des prisonniers d’une part et d’autre. Pour Dieu, biau segneur, nous vous prions que vous soiés soingneus de ces besoingnes et hastéement, car il en est besoins. D’autre part, mesires nous a fait savoir que le crois 1878D de me dame, vous mesire Mikiel, de certain, ou li uns de vous, avés racaté pour VIe lb; il plairoit moult à monseigneur que pour mains vous le faciés, se estre peut; si en rabatés ce que vous poés, et le faites savoir à monsegneur ce que vous en arés fait. Encore nous a fait mesires savoir que nous saichons à vous deus quel cose vous avés fait des deniers que li recheveurs a délivrei à vous, mesire Michiel, puis que vous partistes ore darrainement de Flandres; si en escrisiés à monsegneur entre vous deus 1879A ce que fait en est. Segneur, vous savés que, un pau devant ce que nous partismes de Rome, nous euismes consel as fréres prêcheurs des besoingnes qui sont encontre le roy. Là fu rewardée li demande que mesires Baissans avait faite, et que li consaus de Rome feroit ausi une autre demande, et que, avant que on entrast au plaist, auchunes gens disoient que, de par monseigneur, on feroit une monition au roy pour raison dou péchiet selonc les paroles del Evangile, qui sont contenues en une décretale. De ce devoit maistres Jaques, c’est-à-dire maistre Jakes dou Castel, faire un escrit et mettre en escrit clèrement le prochiés et les paroles, et comment on deveroit aler avant en cele monition, et prendés accort de consel se on ira avant en cele monition, et comment et par qui, et de no prochiés ausi et de no besoingne mesire Bietremius de Caple nous devoit envoier un escrit. Prendés et aiés toutes ces coses en escrit, et le nous envoiés 1879B le plus tost que vous poés, et en retenés entre tans pardevers vous, en aventure se li messages ne venoit à nous. Item, vous savez que de le mise que nous avons faite ou pape, sauve le honneur et l’estat de monsegneur, nous li donnames une procuration, et li papes en vaut avoir une autre qui principaument parlast de le question monsegneur, et mesires sour ce nous a envoiés II procurations, li une est qui especiament parole en le fin de le teneur de le procuration, que mesires tient à grei et à estable ce que fait et dusques à ore par nous, et est li date dou tans que elle fu saillée; li autres procurations ne contient mie ces paroles, ains est toute simple, quant as autres coses, sanlans à celi dont li date est dou tans de la primeraine procuration qui fut baillé au pape et laissié au tabellion. Conselliés-vous sour ces deus procurations, et donnés au pape celi qui mius li venra à, grei, car mesire veut faire se volenté, et nous ausi à no peoir, et faites que de 1879C cèle mise, vous aiés le instrument publique qui faice espécial mention que, parmi ce qui li papes i doit sauver le honneur et l’estat de monsegneur, li mise est faite en le personne de lui, et que li papes l’a ensi rechut, et faites esclarcir, se vous poés comment il l’entreprent, ou comme papes, en non de se dignité, par quoi li mise demourast en le personne de sen successeur qui papes seroit, ou en le personne de lui singulère, comme en monsegneur Bénédic . Segneur, pour Dieu et pour pité, ensi que nous vous desimes au partir, les besoingnes que vous avés entre mains, faites les amiavlement ensanle et par accort, et vous portés ensanle boinement, si que il affiert al avanchement et à le seurtei des besoingnes que vous avés entre mains et qui tous jours vous viènent et croissent, et al honnesté de tel gent que vous estes et ensi créons-nous que vous l’aiés fait et que vous le doiés faire en aprés, car, segneur, en trop périlleuse main sont besoingnes 1879D de messages qui ne sont d’accort, et, s’il i avoit auchune cose entre vous de quoi li uns ne se tenist mie bien à paié de l’autre, faites le savoir à nous ou à l’un de nous, et nous i mettrons tel remède de quoi vous vous tenrés à paié se tort n’avés. Encore vous envoions-nous une lettre close qui va au pape de par monsegneurs, et une procuration de par medame, et une lettre close qui va à no trère. Et encore vous envoions-nous griés appiers et nouviaus, 1880A par lesquels il appiert que les gens le roy de Franche ne tiènent nulle truwe, ne mie pour ce que nous nous en plaignons encore au pape, mais pour ce que li papes envoie plus tost ou pays pour faire tenir les truwes et adrecier les tors fais. Maistres Alexandres de Gand moru à Fournoue le jour Saint-Lorent; ne porsivés nulle pétition por lui, mais les autres poursivés et hastés à vo pooir. Et faites savoir à monsegneur ou à nous ce que vous en arés fait des besoingnes descuredites et d’autres et des nouvelles de court seurment. Si encore vous faisons-nous savoir ke nous avons envoiiet une lettre de marchans de le compagnie des Mages . . . . . . à leur compaignons demourans en le court de Rome: lequele lettres . . . . mesires Guys de Bardes de Florence, chevalier, doit percevoir ou faire percevoir à Rome, et que cele lettres nous devons avoir IIIIm florins d’or. Dont nous vous mandons, mesire Mikiel, que vous en prendés dusques à VIe lb., pour 1880B le crois medame racater ensi ke mandé l’avés à nostre chier segneur et pére, se pour mains ne poés faire, car se par mains le poés faire, il plairoit moult à nostre chier segneur et père desusdis, si que mandé nous a, et ensi mandons-nous audit monsigneur: mandés ke il le vous délivre et le remanant il détienne pour ce que il nous a presté à Florence à autre fois pour nos despens faire. Encore vous envoions-nous un transcript d’une lettre lequelle nos chiers sires et pères nous envoie li argent à nostre segneur Gérart de Parme: car li reis de France, par le convenanche de le truwe, poet faire alloiance à nullui le truwe durant, et non pour quant li rois de France s’est de noviel aloiés à no neveu le conte de Hollande, si que vous poiés voir par les lettres dessusdites. Et ensi apiertil ke li rois ne warde ne foi, ne letres, ne trièves, si que vous ferés dire audit mesigneur Gérart et monstrer, et nous li prions moult à croire ke il ces 1880C veul oïr: si nous faites savoir response de tout. Item nous vous demandons ke vous faites faire une citation et fourmer cele aparement, s’ensi, est ke il convienne le rois de Franche ajourner. Et pour Diu, tout ausi tost que vous savés ou porés savoir le response dou roi ke il ara fait au pape, si le nous faites savoir sans délai. Et Dix vo gart. Escript à Baume le mardi après la nativité Nostre-Dame et délivrés le plus tot ke vous porrés les mesages, car Malis a à faire à Boulonne le Crasse, si k’a il dit.

Nous avons vu Robert de Béthune se rendre, après la sentence du Pape, au palais de Sainte-Sabine, pour déclarer aux ambassadeurs anglais qu’il espère encore qu’Édouard Ier remplira ses engagements. Gui de Dampierre, à son exemple, tente un nouvel effort près du roi d’Angleterre, en qui, 1880D comme il le dit lui-même, il place ses dernières espérances.

A très-haut et très-poisçant prince, son très-chier et très-amei seigneur, monseigr Edward, par la grâce de Diu, roy d’Engleterre, seigneur d’Irlande et duc d’Aquitaine, Guys, coens de Flandre et marquis de Namur, salut et bien apparillié à faire son plaisir selonc son pooir, si com drois est.

1881A Très-chier sires, li très grans griés et li annuis de cuer que je voi à mes iels, et que on me recorde ausi chascun jour, que li rois de France et se gent me font, me maine à chou que si souvent je envoie à vous, comme à chelui en qui apriès Diu j’ai souverainement fiance et espérance, se recouvrier doi avoir, qu’il me veinra par vous. Très-chiers sire, li grief, briefment à parler, sont teil que li rois de France et si gent ne me tiènent de riens la souffrance que vous fesistes, ains en vont chascun jour plainement encontre. Car, sire, par celle parole qui contenue est en le souffrance: qui tient, il tient et doit tenir, la souffrance durant, chil de me terre qui demoret me estoient, et qui avoec mi se sont tenu adiés et qui jusques à ores assés par raison paisivlement ont estei sour le leur, et joï dou leur, li rois leur a fait à chest aoust prendre tous leur biens que il avoient sour leur terres, et les demande trestous avoir par-devers lui, et dist que par-devers 1881B lui doit-il estre, et spéciaument les nos biens, en plusieurs lius. Chiers sires, sour ches griés et sour autres, mesire Gofrois de Genvile parla tout au connestable, par quoi jornée fu mise à Arras, là où li rois devoit envoyer chevaliers, cognisçans en armes et sachans de droit de wiere, et clers de droit, et nous autre teil. Sire, à chelle jornée, liquèle fu tenne li mardi des octaves de le Magdelaine, nous i envoiames chevaliers et clercs, car bien aviems fiance que, se raison vosissent rewarder li gent le roy, selonc le parole de le souffrance, que no drois seroit sauf; mais, sire, che ne pot estre, car, comment que li chevalier d’une part et d’autre se fuissent bien acordei, li acors ne pooit demorer; ains dist li connestables qu’il convenoit que li chose demorast, et fust ensi com il fist mettre en un escript, et ensi nous le presissiems se nous voliems; et se nous ne voliems, nous le laiscissiems; car on n’en feroit autre chose, fust tors, fust drois. Sire, et le 1881C escript teil com il le fist, nous le vous envoioms en cheste lettre enclos. Sire, et quant nos gens eurent veu chel escript, il en assaierent s’il poroient en aucune manière venir à accord, se prisent priès en laiscant partir un grantment de no raison, fisent un autre escript et le présentèrent au connestable et as gens le roy par le conseil de monseigneur Jofroi: lequel escript, sire, nous vous envoioms en ces lettres ausi enclos. Mais, sire, chis escript ne leur pleut mie, ains disent adiés que autre chose ne nos en feroient. Certes, sire, ches paroles sont moult dures, et li fait sont moult greveus à nous et à no gent, et en perdons che tant de gens qui demorei nous estoient, et sommes en péril de plus perdre. Très-chiers sire, avoec tous ches griés desusdis, nous sont venues moult dures nouvèles de Roume, qui moult nous ont esbahi et cheaus de no terre et tous nos amis. Sire, che est que li papes a prononchié pais entre vous et le roy de France, et par alliances de mariages, sans faire no pais avoec le 1881D vostre. Et puis que tels nouvèles furent venues à nous, les gens le roi nous ont assaiés et assaient tous les jours de emfraindre le souffrance, et nous saisiscent nos villes et ochient nos gens, et premdent leurs biens et as cans et ès moisons, et les eschevins de nos villes prendent et metent en prison et par peur et par distrainte de prison leur font jurer féautei au roy.

Certes, sire, sour che ne convient-il mie que je maingtiègne moult de paroles d’escrire à vous, car, certes, je ne crerrai jà, ne onques ne créi que je ne doive trouver en vous confort et aiwe, et que adiés vo devoir ferés envers mi selonc les convenenches qui sont entre vous et mi. Et vous, très-chier sire, que par le misericorde de Nostre-Sengneur, vous voelliés avoir compacion de mi et de 1882A men estat, et me voelliés comforter, comme chius en qui j’ai mis men estat et men honneur.

Chiers sire, et apriès che que ches choses chi desus furent escriptes, revint à nous nos chiers et foiables Waleran, sire de Montjoie et de Faukemont, qui revint du duc d’Ostriche, qui paisivlement est esleus cou roy d’Alemagne de trèstous les esliseurs entirement, et a assis le jour de son couronement à Ays, le diemenche après le . . . del mois d’aoust. Et nous a dit pour certain que li devantdis roi a très-grand volontei de faire allyance à vous par mariages, et en toutes autres bonnes manières, et à nous ausi, et monstre grand sanlant de ces besoingnes entretenir, qui porteroient honneur et profis à vous et à nous, et ne maintient mie, sire, paroles que il ait volontei de prendre avanteige, ne bienfait de vous, ne de autrui, si com lidis sire de Faukemont nous a dit. Et sachiés, sire, qu’il a jà envoié à nous et à no neveu de Haynau, pour le 1882B discors qui est entre nous deus apaiser, et violt sans faille que pais i ait, et voet en toutes fins que nous soiems à son couronnement à Ais por nous ensamble apaisier; car il violt en toutes manières que pais i soit

Chiers sire, si vous requier et prie ke vous toutes ches choses voelliés considérer et rewarder pour vo honneur et le nostre, car il ne fu onques mais mius poins, et tant faire que Dius vous en sache gre, et nous en soioms a tousjours tenu à vous.

Les réponses d’Edouard Ier furent vagues, faibles, peu satisfaisantes. Il se sentait d’autant moins porté à venir en aide à Gui de Dampierre qu’il le voyait plus près de sa chute.

Les lettres que le comte de Flandre recevait de Rome n’étaient guère plus favorables. Celles que 1882C nous mettons sous les yeux de nos lecteurs embrassent les cinq mois qui s’écoulèrent depuis le 19 février 1298 (v. st.) jusqu’au 23 juillet 1299.

Très-chier sire, je ai atendu apriès le message dont les daraines lettres que vous me envoiastes, faisoient mention, et qui devoit hastéement venia apriès cèles, dont je me mervueil moult quant il n’est venus. Car li cardinal me demandent souvent nouvièles comment vos besoingnes se portent en vo tière, et je ne leur en sai mie bien répondre: dont il me poise. Et ciertes, sire, li rois a si le court pervertie que à paines i a-il nul qui en apiert ose de li dire fors que loenge; mais cascuns connoist bien et seit que ce est li volonteis dou souverain. Chier sire, je me sui travailliés, et travaille encore à men pooir, à ce que aucun de vos priviléges fussent renouvelei, mais je n’en triuve mie teil faveur que je vauroie ou tans de ore. Chier sire, une lettre 1882D qui a estei mout demenée et débatue et empéechié et à grant paine et à . . . . . délivrée, je le vos envoie. Et sachiés que des lettres que vous me mandastes que je empétrasse encontre l’évesque de Tierewane, il n’i avoit que une dont par droit on peust . . . . . . . . . lettre de justice, et cèle fust faite, et en le audience contredite par le procureur l’évesque. Et à tant . . . . . li besoingne que li papes mandast. ces lettres, et quant il les eut veues, il dist qu’il ne voloit mie que elles passassent, et les retint. Et dist qu’il voloit que li . . . . . dou poursuivir ne courust mie contre vous, et que ce fust sans vo préjudice. Je requis et requier que nous en ayons sour çou se bulle; mais encore ne le puis-je avoir, ne ne sai se je le porai, pour le petit de faveur que vous trouveis orendroit en li. Et sour toutes aventures je ai fait protestation 1883A devant le auditeur des contredites, et en ai ses lettres. Chier sire, s’il vous plaist, envoiiés plus seurement à court, et lettres au pape et as cardennaus; et, s’il n’i a secrés et il vous plaist, si m’en envoiiés les transcris, pour ce que, se il m’en demande, je puisse le matère poursivir. Nostre Sire soit warde de vous et vos doinst boine vie. Escrit à Lateran, le joesdi apriès Septuagesime.

Non seulement l’influence de Philippe le Bel domine à la cour de Rome, mais l’on voit aussi le comte de Hainaut profiter des malheurs de Gui de Dampierre pour revendiquer le comté de Flandre.

Tres-chiers sire, je vos ai par pluseurs lettres fait savoir l’estat de le court et de vos besoingnes, liquès estoit assés petit mués au point que ces lettres furent faites, fors tant que je ai tant fait que, quant au point de ore, je ai empêchié le lettre que vos niés, mesire de Haynau, voloit empétrer contre 1883B vous. Et ai dit à monsigneur Gui et as aultres qui sont pour li en court, que, se il font tèle lettre passer, que je empétrerai aussi en vo nom contre li sour toute le conté, et que je en ai commandement ; mais pour ce ne le feroie-je mie, se vous ne me mandeis que vous voleis que je le fache, ou se messires, mesire Phelippes vos fius, ne le conseille. Mais je croi que pour le cremeur qu’il ont que je ne le fache, il se soetrent et soufferront de empétrer contre vous. Et si ai, chier sire, parlei au cardennal qui fu légas en Alemaigne, et de cui il se avoent qu’il geta le sentense dont il voelent empétrer confirmation, qui a dit que çou que il en fist fu à forche et par destrainte de peur et de manaches, et que, tantost comme il fu hors du pooir le roi de Alemaigne et de ses gens, il les rapiela, et m’en a proumis à donneir lettre qu’il fu ensi fait. Et mestre Jehan de Pize, vos procurères, dïst que vous en deveis avoir de le révocation lettres. Si m’en 1883C voeliés, chier sire, faire savoir et de ce et de toutes les aultres choses vo plaisir et vo volentei.

Chier sire, li portères de ces lettres est li varlés que messires, mesire de Nevers, retint à vallet, sicomme je vous ai autrefois escrit, et fu mesire Reniers de Pize ses oncles. Sire, vous me mandastes par vos lettres que bien vos plaisoit que je li délivrasse reubes à deus saisons, et je l’ai fait de le Toussains prochainement passée et de ces Paskes. Et vous vausistes, chier sire, que je pourvéisse aussi monsigneur Estiène, le maistre huissier, si l’ai fait; mais à monsigneur Gile ne ai-je fait riens, pour ce que vous me mandastes par une lettre que vous me envoieriés un siergant à keval, qui aporteroit reubes et mailles; n en aporta nules. Si en faites, sire, vo plaisir. Chier sire, il seroit besoins que vous escrivissies au pape et as cardennaus en 1884A le manière que je vous ai autrefois escrit, et que une procurations me fust envoiée nouvièle, et pour me signeurs tous vos enfants, et que li cours fust pourveue des despens qu’il convient faire; car ele se devoit partir le mardi après le date de ceste lettre, et aler en un très kétif liu et mausain, s’il est à savoir à Anagne, le cité dont li papes est nés. Chiers sire, Dius soit warde de vous et de quant que vous amés. Escrit à Roume, le merkedi après Paskes.

Une lettre de Jean de Menin, qui reproduit le récit d’une audience accordée par Boniface VIII le 13 juin 1297, à Anagni, présente la situation sous un aspect moins menaçant, mais à peine les paroles du Pape ont-elles fait naitre quelques espérances qu’elles semblent s’évanouir.

1884B Très-haus et très-nobles sires, jou Jehans de Menin, vos chevaliers, vous fach à savoir ke le jour ke je viench à Anaigne, c’est à savoir le semedi après le jour de la Trinitei, je parlai au pape par grant loisir, et li fis vo requeste sour trois coses: l’une que vous réusissiés me damoiselle vo fille; l’autre ke par recréance vous réusissiés monsegneur de Blanmont et les autres prisonniers selone les convenances des triewes, le tierche k’il fesist ke on vous tenist les triewes et adrechier chou k’on avoit fait al encontre et rendre. Et li dis moult de raisons pourquoi on vous devoit chou faire, et pourquoi il i devoit entendre, et entre les autres ke, par sa requeste et par son conseil, vo enfant premiers pour vous, eus après quant vous le seuistes, aviés mis vos besoignes sour lui, sauve vo honneur, vo estat et vo hyretage; et ke en ceste forme il avoit pris sour lui, et que ke il avait dit à vos enfants, quant il se partirent de lui, ke ces trois coses ke je li requeroie il feroit faire. Sires, quant il m’avoit moult bien oïst et par 1884C grant losir, il me respondi tout au commenchement, ke tout estoit vérités comme que je li avoie dit: et comment ke je li dis ke li évesques de Vincenze, requis de par vous, avoit dit ke riens il ne li avoit kerkiet de vos besoignes, il dist ke il li avoit kerkiet k’il fesist tenir le trieuwe; et je croi, à chou ke je puis entendre, ke ce soit voirs ke en général il li avoit kerkiet, et non mie de vous en espécial; et pour che il ne se veut mie meller de vous en espécial. Et toutevois me dist-on ke li évesques de Vincenze vous aime miels k’il ne fache le roy. Et li papes meismes me dist k’il est homs sans souspechon. Et parla li papes moult courtoisement de vous, et dist ki’l feroit pour vous quant k’il porroit, et ke adiès en avoit esté en grant volenté, et estoit ore plus ke oncques mais: et me dist ke je li apportasse mes pétitions en escrit et vo désir, et il i 1885A metteroit volentiers consel. Le nuit Saint-Jehan, sire, au matin, je li apportai me pétition, et il le lieust tantost, et me respondi k’il se conselleroit sour che; et je cuidoie adonc très-bien besoigner et tost, parmi che ke je requeroie raison, et che k’il devoit faire, et parmi che qu’il me reconnissoit en véritei tout che ke je li disoie, et parmi les bèles paroles k’il me disoit et le beau sanlant k’il me monstroit el non de vous. Mais oncques puis je n’oï novièles de vos besoignes; je ne sai que Dieu li mettera en cuer, mais je n’i ai mie si bonne espéranche ke je avoie au commenchement, ne je ne sui mie aise de cuer: et le cause pourquoi li espéranche me faut, vous poés bien savoir, et vo enfant ki connoiscent le court. Et je le vous dirai, s’il plaist à Dieu et à vous, assés tost; car, en nulle manière, je ne le metterai en escrit. Et toutevois, sire, partout là où je envoie lettres, mes paroles sunt de boin confort d’avoir boine délivrance pour 1885B vous et tost. Mais, sire, à vous ne voel-je nulle riens céleir de vos besoignes et de mon cuer, si en parlerés avant, sire, à vos enfans, et là où bon vous sanlera: et bien porra avenir ke li besoigne vendra miels ke je n’espoire, et Diex le doinst. Et s’il est ensi, sire, ke je n’aie gracieuse délivrance pour vous, il n’est rien ou monde ke je li doie requerre, ne pour vous, ne pour autrui; ains me partirai à son congiet dou miels ke je porrai.

Rien n’est venu confirmer l’espoir qu’exprimait Jean de Menin. Il considère sa mission comme terminée et se prépare à quitter la cour pontificale troublée par l’évasion des Colonna.

Sire, des novièles de le court et dou pays de châ vous fache à savoir, ke c’est venredi passei chil de le Columbe, ki tout ont perdu, et viles et castiaus, et tenoient par le commandement dou pape prison à 1885C une vile k’on apièle Tyble, s’en partirent, et furent encontré à tout grant gens d armes près de Rome, et ne set-on mie en le court de certain k’il sunt devenus. Et en est destourbés li papes, et se doute-on de grant tourble en pays. Le semedi, sire, devant le Saint-Pière et Saint-Pol, le roys d’Arragonne et li dus de Calabre et mesire Phelippes vos fils, et tout che ke ly roys de Cecile a peu mettre, entrèrent en mer à Naples, et s’en vont vers Cecile, et Diex les wart. Et pour che, sir, mesire Phelippes n’eut pooir de partir dou pays, par quoi il fust venus à le court pour vous. Et si estoieje alés dusques au pont de Cypraeu pour aller parler à lui là où il estoit, vers Naples; mais il me prinst maladie, par quoi je ne peuch aler avant, et li envoiai en escrit les besoingnes pour lesquels vous m’aviés envoyet à court; et me retrais tout bèlement vers Anaigne. En Lombardie, sire, a grant gherre, et avoit quant je i passai, entre le marchis 1885D de Montferrat, le marchis d’Eest et chaus d’Akremoene , de Pavie, de Corziaus et de Novarre d une part, et le capitaine et chiaus de Melane d’autre part; et leur aident chil de Boloigne et chil de Plasence par une partie de leur gent k’il ont envoyet à chiaus de Melaen. Sire, je sui à très-grant coust en court, et pour mi et pour mon segneur Michiel ki me dist k’il n’a nuls deniers, et je ne li puis mie faillir de che ke j’ai; et li pays i est très-durement chiers. Voelliés faire rewarder pour que je aie fin pour avoir deniers, et n’est nulle semaine ke nous ne sommes à L florins d’or et plus; car jà soit-il ke li florin soient chier en Flandres, 1886A pour le mosnoie ke ore i cuert, pour che ne valentil nient plus en le court k’il solient faire passet a VII ans. Et je n’ai mie au jour de huy plus de trois cens florins. Et je n’ai pooir de là demorer, ne de partir de là-endroit, se vous ne me faites tost aidier. Sir, se je n’ai délivrance dou pape, dedens che ke vos messages revendra à mi, m’atente n’i vaudra plus, ne je n’i vous porrai porter nul pourfit jamais; et il m’en forra maisement partir, se vous ne m’envoyés vos lettres pendans ke vous me mandés ke je viègne à vous pour vos besoigne, là où il convient ke je soie en propre persone, et ke je lasse vo besoigne en le main mon segneur Michiel, vocapelain, ki bien i tient liu pour vous, pour ramentevoir et poursewir en avant. Si fache-on faire les lettres bien et ordenéement, s’il vous plaist k’on les fache; car pour mi ne pour autrui li papes ne fera fors che k’il voudra. Et sachiés, sir, ke il m’est griés d’estre en la court, et de despendre le vostre 1886B à si pau de proufit ke je vous i puis faire d’ore en avant; car je ne puis de vos besoignes ne hoster ne mettre, et tout iert à le volentei dou pape. Sir, messire Guys de Henau, vos niés, est en court pour pourcachier aucune éveskiet ou aucune dignitei; et si n’est mie si warnis des deniers le roy de Franche, k’on disoit auwan en Flandre; car j’entench k’il a pour les mains où mettre, et fine encore assès . . . . de ses despens.

C’est au moment ou la cause du comte de Flandre paraît à jamais perdue que l’on voit poindre les difficultés qui doivent séparer Boniface VIII du roi de France.

Philippe le bel, qui a songé un instant à élever son frère Charles de Valois à l’empire, traite avec Albert d’Autriche; mais Boniface VIII se plaint de cette alliance avec un prince dont il n’a pas approuvé 1886C l’élection, et les ambassadeurs flamands ne redoutent pas moins la confédération du roi d’Allemagne et du roi de France.

Chiers sir, li cardenal parolent moult bien pour vous tous, et deus espéciaus amis avés-vous mon segneur Gérard de Parme et mon segneur Mathiu d’Expert, et si avés moult bien le grasse de le court; mais nuls n’a pooir fors li papes seulement. Sir, on devera à le Magdaleine à mon segneur Gérard de Parme CC florins, et à mon segneur Mathiu d’Expert, si comme j’entench, devoit-on C livres tournois par an, de trois années dont mesire Michiel a payet une année. Faites rewarder ke chil denier soient si payet ke che solt employet ke vous i metterés. Faites rewarder, sir, se il vous plaist, à le besoigne mon segneur Ponchart, et mesir Guydes, sir, demande moult mil florins k’il presta 1886D pour le crois Madame, cui Diex assoille, et CCCCL florins encore du prest k’il fist à mon segneur vo fil, quant il revient de Rome. Sir, vo ami de court, cardenal et autres, sunt moult liet, par l’amour de vous, de che ke li traitiés d’accord entre le roy d’Alemagne et le roy de France est faillis, et je en loc Dieu; et aussi en est li papes liés; mais je ne sais pour quoi. Et li papes ne veut mie k’on l’apièle roy, mais sans plus duc d’Oesteriche. Et j’ai grant désir, sire, ke je oïe vraies novièles ke li pais ne voise mie avant entre le roy de France et le roy d’Engleterre, et ke li roys d’Engleterre fache envers vous che k’il doit. Et je croi ke li pais ne se fera 1887A mie, par une parole ke li papes me dist; car il me dist, ke très-autan il avoit rewardei, et encore le véoit-il bien, ke si grans descors, comme des deux roys et de vous, ne porroient estre apaisiés, se che ne fust là où vous tout troe en vos personnes fussies présent devant tui; et pour che avoit-il rewardei k’il trairoit en heu convenavle pour che faire; mais au séjour qu’il fist autant à Rome, et espécialment pour les besoignes de eaus et de vous, dont il se traveilla adonc, maladie le prist, et il tout aviséement se traist en sus del er dont il avoit estei nés, pour assaiier se il porroit conduire en estrange pays; et les maladies l’ont puissedy trop traveilliet, et menet près dusques à le mort, ne encore n’est-il mie en point k’il se puist tirer hors dou pays, ne nuls ne li loe, et sans doute il est très-durement au-desous, et trop cangiés de che k’il fu quant nous partimes autan de Rome, ne nuls ne li promet k’il doit longhement vivre, ne k’il se 1887B doit jamais aidier dou cors. Moult me reconneut bien quant je viench devant lui, et parla privéement à mi et longhement, et dist k’il ne me convenist mie avoir apportei lettres de créance, car il savoit bien ke je venois de par vous. Et Diex doinst ke ses beaus sanlans et ses bonnes paroles, il met cheà cuvre al honneur et au pourfit de vous. Et nostre Sire soit warde de vous, sir, en ame et en cors, et de tous chiaus ki bien vous voelent, et vous doinst joie de vos amis et de vos anemis. Chier sire, li rois de Arragon, li dus et mesire Phelippes vos fius et mout de boine gent ont jà pris tière en Sezile, et ont boine espéranche, si comme je enteng, de reconquerre tout le païs.

Ces lettres furent données à Anagne, le joesdi apriès les octaves de saint Pière et saint Pol.

Déjà dans la lettre précédente, Jean de Menin et Michel As Clokètes racontaient que le pape avait 1887C annoncé le dessein de quitter Rome pour citer à son tribunal les rois de France et d’Angleterre et le comte de Flandre. C’était à ses yeux le seul moyen de calmer les discordes de l’Europe. Mais il était si accablé par la vieillesse et les infirmités que ses forces trahissaient l’énergie de sa résolution, et l’air même de la ville d’Anagni où il était né n’avait pu les ranimer. Cependant, il réunit les cardinaux autour de lui et leur fit part de son projet en disant que s’il devait trouver la mort dans cette oeuvre de paix et de réconciliation, il pensait ne pouvoir mieux mourir. Il avait appris avec peine que les affaires de Flandre ne recevaient aucune solution pacifique, et d’autres lettres lui faisaient connaître que Philippe le Bel, sourd à ses remontrances, 1887D poursuivait ses négociations avec le roi d’Allemagne.

Trés-chiers sires, nous vous faisons savoir que le semmedi après le devenres que II. de Wettre, nos messages que nous avons envoiié à vous par nos lettres, et à nos signeurs vos enfans et à pluseurs gens de vo conseil, se parti de nous à Anagne, 1888A nouvièles certaines vinrent de Sezile au pape tèles que li rois de Arragon, li prinches de Tarente, et Rogiers de Lorie, qui est amiraus de mer, et cil qui avoec eaus furent, se assenlèrent en mer as gens don Fédérich de Arragon et as Seziliens et as Genevois, qui avoec eaus estoient, et prisent XXII galées, et furent cil qui dedens estoient tout pris ou ochis, et si en escapèrent XVIII galées, esquèles Fédéris estoit; et si i eut-il de ceus de ces XVIII galées un grantment de mors, et li dus de Calabre et mesire Phelippe et li force de le chevalerie, et de l’ost demorèrent en le tière de là, et pau ont pierdu cil de ça. De çou a-on menei le semedi et le diemenche après les octaves S. Pierre et S.-Pol, trop durement grant fieste à Anagne, et li papes en a ea si grant joie comme ons puet avoir. Et a en grant espéranche que li besoingne dou reconquerre le tière doie venir à bien. Ne onques puis on n’en a eu nouvièle qui fache à raconter. Et li papes a ordonnei 1888B et fait légat en Puille mon signeur Gérart de Parme, qui se partira de court le lundi après le Mazel: dont mout nous poise; car çou estoit li plus certaine aiwe et confors que nous aviens en court. Sire, le nuit de le Division des apostles, nous venismes devant le pape, et li requesismes délivranche de vos besoingnes, et il nos respondi qu’il en avoit ordonnei et kierkié à monsigneur Mathiu le Reus, qu’il en fesist lettres, et nos dist que nous en alissions à li. Et nous li demandasmes s’il li plaisoit que mesire Mathius nos défist le fourme de no délivranche et l’estat de vos besoignes, et il nous respondit qu’il li plaisoit bien. Après nous alasmes à mon signeur Mathiu, et li desismes ensi: et il nos dist que les notes estoient jà faites, et qu’il ne nos diroient nient de no besoingne, dusques à donc qu’il l’aroit monstrée au pape, et l’endemain le devoit faire, çou qu’il n’avoit mie fait encore, quant ces lettres furent escrites, et si ne l’en ciessons de 1888C poursuiwir. Sire, nous créons certainement que mesire Mathius vous voet grant bien; mais, sire, on li met sus que ce est li plus lons et li plus tardius om qui vive, et mainte besoingne a estei pierdue en se main par se longèche. Et li papes de autre part est mout lons quant il voet. Et nous cuidons orendroit que il vos fera boine délivranche de çou qu’il pora faire; mais de ciertain, sire, nous ne vos poons nule cose faire savoir encore, et adiès sommes en doute d’une grant alonge. Et on ne puet de nulle riens haster mon signeur Mathiu, fors que ensi comme il li plaist. Et, sire, s’il vous plaist, remandeis-mi Jehan par vos lettres, car je ne vos puis plus faire en court, et bien pora avenir que jou Mikius revenrai avoec, se on voit que ce soit bien fait. Sire, puis que çou que ci desus est contenu fu escrit, vinrent nouvièles certaines au pape, et lettres de par l’évesque de Vincence, et li cardinal mesmes aucun en eurent lettres, que li roy de Franche et de Engletière ont fait pais ensanle, et 1888D tout acordei et assenti à çou que li papes en ordena et pronunchia, présens leurs messages . . . . . . . à Roume. Et va li mariages avant dou roy de Engletière, et celi de seu fil fera en selonc çou que li papes en a ordenei, quant li tans s’i afferra. Ne de vous, ne de vos païs, ne de cose que à vous touke, nule parole n’i avoit estei, si comme les lettres disoient. Et est li rois de Escoche, et ses fius délivré 1889A en le main le pape. Et nos sanle, à no petit sens, aussi fait-il à mout de gens, que li rois de Franche a mius aidié le roi d’Escoche, de cui onkes paroles ne fu, ne en le wière ne ès triuwes, que li rois de Engletière ne ait fait vous, qui en le wière et ès triuwes aveis estei, et parmi cui li rois de Engletière est venus à se pais. Et tantost apriès ces nouvièles, li papes manda les cardennaus et leur monstra ceste besoingne; et quant les lettres furent liutes, si dist li papes: «Signeur, vous véés que dou conte de Flandre riens n’est fait ne traitié, dont il nous poise; mais, si Diu plaist, par autre voie nous li èderons et meterons tout le monde à pais. Et se nous poièmes, nous trairiens volentiers delà les mons, non mie en le tière ne de l’un roi ne del autre, mais en le tière de no chier filz, le roi de Sezile, ou en nostre patrimoine nostre contei de Venise. Et se nous moriens en le voie, nous cuideriens bien morir.» Et, sire, 1889B tout çou nos sanlent paroles encore. Sire, nous ne savons se li ordenanche de nos besoingnes, qui est commenchié ensi comme desus est dit, se cangera nient pour ces nouvièles. Sire, et encore avons-nous apris par mon signeur Mathiu de Eguesparse, le cardennal, le jour de le Division des apostles, que il avoit eu lettres que li message le roi de Alemaigne estoient à Paris pour traitier de acort au roi de Franche; et puis sont revenues autèles nouvièles que leur gent de leur grant conseil sont, à orendroit que ces lettres sont données, arrière au Noef-Chastel en Loraine, pour traitier et accordeir ensanle. De çou, sire, se nous l’osions dire par congiet, nous avons grant merveille que nous de vo estat ne savons riens, fors par estrangne gent, et sanle qu’il afferroit mius que li cardennal et vo ami le seussent de le voe partie, que çou qu’il nos en convient aprendre par eaus, se aucune chose i a qui vos sanle que à mandeir face.

1889C Chiers sires, encore vos faisons-nous savoir que, quant jou Jehans de Menin ving en court, jou Mikius n’avoie ne deniers ne finanche, et estoie un grantment et sui encore kierkiés de grant dette Si nos a convenu vivre et faire encore des dettes, que jou Jehan de Menin aportai en court. Et n’avons mie de coi nous puissions vivre plus de trois semaines après le jour que ces lettres sont données. Et nous quérons finance par tout et n’en poons nule trouver, si en sommes en grant ému: pour Diu, sire, si nos faites secourre, et tost, car li besoins en est très-grant. Mesire Gérars de Parme vous prie mout, sire, que vous aiiés les besoingnes le prévost de Bruges pour recommandées. Sire, Jésus-Cris soit warde de vous.

Donnei à Agnagne, l’endemain de le Mazel.

Le comte de Flandre répondit à Jean de Menin et à Michel As Clokettes, dans les premiers jours 1889D du mois d’août: il leur apprenait que la paix était faite entre Edouard Ier et Philippe le Bel, et qu’il ne lui restait plus d’autre refuge que la protection du pape.

Guys, coens de Flandres et marchis de Namur, à son cher et foiable chevalier, mon seigneur Jehan de Menin, salus et amour.

Nous vous faisons savoir que li évesques de 1890A Vincent a estei en France et en Angleterre, et sont les besoingnes jà si aprochiés que pais est entre les deus roys, et est fet li pais en Angleterre , et se font li mariage dou roi d’Engleterre et de son fil, et les a jurés li rois d’Angleterre et ses fiuls, et a estei Willaumes nos fiuls en Angleterre pour savoir le entente le roy, delquel il nous sanle que nous arons petit de confort, selone che que comtiennent li respons; car il respont que adiès il fera vers nous che que il devera; lequel choze il nous monstre mie par oeuvres; car il est contraires à che qu’il dist en ses fais, si qu’il nous semble, et se voele fonder et fonde del tout sour le indulgence et sour le dispensation le pape; et d’endroit che que il nous doit, si com vous savés, les LX mil livres tous les ans, il ne nous en tient convenance nulle; ains entendons par aucuns de ses gens qu’il n’est à nous tenus de riens des LX mil livres, pour che qu’il dist que triuwes 1890B ne sont mie weire; si que en toutes manières il nous desloit, et tout par les graces que li papes a faites à lui et au roy de France, si comme de dissimes et d’autres grâces, lesquels sont del tout à nostre destruction. Et d’aultre part, por che que li rois d’Alemaigne voit que li rois de France et chius d’Engleterre ont si grant faveur au pape, si se doute-il, si que nous nos cremons moult, que il ne se doie mie alloier à nous, pour le doutance de lui, et trèstoutes ches tribulations naiscent de le court de Rome, que nous sommes si entreprins orendroit. Si n’est mie li papes qui doit tenir le liu Diu en terre et qui doit estre auctères de pais tels comme il deveroit, ains est auctères de guerre perpètuel, qui fin ne prendra mie: laquels chose nous ne cuidiems mie avoir déservi à ceste court, ne nous, ne nostre antecesseur, ne li maisons de Flandres. Pourquoi nous vous mandons que vous as cardinaus, là où vous verrés que bon est, en parolés 1890C et monstrés ches nostres grietés, si com vous sarés miels faire que nous ne vous savons escripre, et le faites autresi savoir Philippe nostre fil, auquel nous n’en escrisons mie, pour che que vous lui dirés bien de par nous. Et sour che nous faites resavoir tantost che que vous loés à faire, et le créence le pape, che que vous en porés savoir, et des cardenaus. Et sachiés que nous avons grant mervelle de che que, puis que vous partistes de nous, nous n’oumes de vous nouvèles; et monstrés à Philippe, no fil, ches lettres, et lui dites que nous n’escrivons mie à lui, pour le péril des pertes de lettres, et lui dites ausi, de par nous, que il soit près de le court à chest nostre besoing et ne s’en partie. Et sachiès que, se li papes nous faut, nous sommes del tout au-dessous; car nul espoir nous n’avons ès rois de Engleterre et d’Alemaigne. Si entendés diligamment quele li entente le pape est, et s’il avient que triuwes soient rallongiés, 1890D che sera no destructions, se on ne les nos tient miels que on n’ast fait jusques à ore. Et bien ariems besoing que nous le seuscièmes et en fuscièmes warni à tans. Si nos faites hastement resavoir che que vous arés entendu, et sans arrest, et monstrés ausi à mon seigneur Mikiel, no capelain, ches lettres et aiés sour tout avis ensamble.

L’éveque de Vicence, qui avait été chargé par le pape de présider à la conclusion du traité de paix 1891A entre Edouard Ier et Philippe le Bel, ne tarda pas à se rendre en Flandre, et tout porte à croire que ce fut à cette époque, et probablement de ses mains, que Gui de Dampierre reçut une bulle où Boniface VIII, attribuant sa rébellion à son orgueil, le pressait d’éloigner tout sujet de discordes avant la fin des trêves (elles expiraient le 6 janvier 1299, (v. st.), s’il voulait laisser son héritage à sa postérité .

L’évêque de Vicence s’était arrêté à Bruges, qui était toujours au pouvoir des Français, et son premier soin avait été d’ordonner que la trêve fût observée , et que les prisonniers de la bataille de Furnes fussent relâchés, en donnant des otages, selon ce qui avait été convenu à Paris; le comte 1891B était tenu de restituer les monnaies du roi qui avaient été saisies, et qui dorénavant auraient cours en Flandre, et sa propre monnaie devait être reçue, mais à une valeur réduite, en payement de ce qui était dû au roi. Au mois de décembre, l’évêque de Vicence assista à des conférences entre les députes du roi et ceux du comte, et voici en quels termes maître Bassan, Baissan ou Barssien, qui avait, en qualité de seigneur de loi, accompagné Robert de Béthune à Rome, rendit compte de ce qui s’était passé au comte de Flandre:

Très-chier sire, sachiés ke jou ai esté, aveuc vostre gent, duskes à samedi prochainement passé, pour tenir les journées devant le veske de Vincense, et bien sachiés ke sour plusur articles ke fort vous 1891C atouchent grant débat ait esté entre vostre gent et les gens le roy devant ledit veske et le conestauble de France, ki à cestui débat estoit et mout de paroles dittes par eulx et mesire Simon de Mellun, ki èrent mout à grant dammages de vous, et espécialement sour ce ke vous fesissiez batre monnoies en vostre terre, lequel cose il disissent vous ne peusiés nient faire, parce ke vous n’estiés mie en tenue ne en saisine de faire batre monnoie en vostre terre, lequel il disent k’il est del roiaulme de France, en tans de guerre et en tans de truwe, et pour ce disoient-il ke vostre monnoie en aucune manière ne doivent courre en le roiaulme de France, ne en la terre ke tient le roi de France en Flandre, et espécialment pour ce k’il dient ke vostre monnoie est fause. Et jou leur dis k’il ne fesissent mie grant honour au roi de France, ke par leur paroles il reconnussent ke le monoie le roi n’estoit mie boine, come ce fu cose ke vostre monnoie fu faite sour le 1892A piet leditte roi de France, et ke jou et nostre gent estièmes apparellié de faire assai au fu d’une monoie et d’autre, et autrefois avons esté aveuc vostre monnoiers et avoec vostre monoie à certaines journées, ne onkes ne porrièmes aconvenir à faire assai, por coi, puis ke vous refusastes çou, il est bien samblant ke nostre monoie est si boine ou miudres ke le monoie dudit roi. Et de teile offerte et response sambla bien ke ledit veske se tient bien apaié. Et mout autres débas furent entre vostre gent et le roi, lequel jou ne porroie mie si bien escrire comme dire de paroles, mais toutesvois la fin fu tel k’il doivent rechevoir vostre monoie pour sisain denier parisis en paiement de çou k’on leur doit, et ke vostre monoie peut courre par toute le roiaulme de France sans arres faire, mais ke ele soit saelé d’autrui sael, fors de oelui ki le porte, et ke il ne seroit overte le mail en lequel seroit laditte monoie, puis ke ele seroit trovée saclée. Et bien 1892B sachiés ke li bailliu du Dam a dit à moi ke cest seul point vous vexe en cest an à dis mil livres. Et sachiés ke argent en plait pooit-on porter à sa volenté, et celi ki vous a esté pris vous sera rendus, par l’estimation de LXV sols le marc; et vous devés rendre le monoie le roi ke vostre gent ont aresté et pris en vostre terre. Et pluseur autres coses sont acordé par ledit veske, lequel jou vous envoie le transcrit en ceste lettre enclos. Et encore sachiés, sire, ke li rechevères et jou avons ordené ke mesire Bauduin de Quadypre doit aler au roi d’Engleterre, pour parler à li et aus gens le roi d’Almaigne de çou ke vous savés k’il a esté ordené, et l’enformation k’il doit dire a-il enporté en escrit, et doit movoir pour aler en Engleterre cest prochain deluns à venir, et autel l’avons nous en forme de çou k’il doit dire as le roi d’Almaigne et au conte de Savoie. A Diex ki vous wart. Mandés moi votre volenté: jou sui pareillié de faire.

1892C Donnéi à Gant, le diemence apriès le jour Saint-Thumas. Encore sachiés k’il est ordené ke le commissions ki ont esté faites doivent déliverer entre chi et le Masdalaine: pour coi nous vous consaillons ke vous déliverés l’escolastre, par coi il peut déliverer les commissions des enquestes ke vous avez entre les mains, et autrement sachiés kil vous porra porter grant péril.

Gui de Dampierre s’était retiré au château de Rupelmonde . Trahi par ses alliés, Édouard Ier et Albert d’Autriche, attaqué par son neveu le comte de Hainaut, abandonné même par ses petits fils le duc de Brabant et le comte de Hollande, il avait remis son épée au sire de Moerseke: triste et suprême aveu de l’inutilité de sa résistance et de l’impuissance de ses efforts.

Rien n’est plus touchant que la lettre que Philippe 1893A de Thiette adressait à l’aîné de ses frères, le 11 novembre 1299, des plages lointaines de la Sicile:

A très-haut homme et noble, mesire Robert, fils aisnez mon seigneur le conte de Flandre, seigneur de Bétune, son très-chier seigneur et frère, Philippes, ses frères, se recommande à li et apparillié à tous ses bons plaisirs.

Chers sires, je receu voz lettres que vous m’envoiastes, et moult sui liez quant je entendi vostre bon estat, lequel Nostre Sires meinteigne en prospérité et en honeur. Et d’endroit de moi, chers sires, sachez que je m’estoie ordené de tout lessier por aller procurer les besoignes mon seigneur nostre père à court de Rome; si me fu conseillé, et dou roi et de mes autres seigneurs et amis par deçá, et les cardinaus meesmes le dirent à ses procureurs à court, que le pape seroit plus favorable aux besoignes, si je estoie à service de l’Eglise que se je fusse à court, et les en délivrerai plus tost 1893B que se je cuidasse qu’eles n’en dussent mieux valoir, je vousisse mieux estre à court por les procurer que là où je sui. Quar sachez, chers sires, que suis moult amolesté de cuer, tant por les besoignes devers vous, que ne sunt pas aleés, tant por la grante aventure et la grante confusion où certiens fumes, se Dex ne nous aide. Et Nostre Sire en face sa volenté en quel main nous fumes touz. Confortez-moi souvent, s’il vous plaît, de vostre bon estat, et me mandez toute votre volenté et sui . . . . . . . appareillé de faire à men pooir. Et seellai ces letres dou mien anel, por ce que je n’avoie mie avec moi nostre propre seel.

Et immédiatement après, Philippe de Thiette avait ajouté ces lignes, expression d’un voeu que l’avenir ne devait exaucer qu’à travers mille périls.

Nostre Sire Dex face que je vous puisse enquores reveoir à joie! Et sachez, sire, que moult m’en 1893C goesse et en suis en grant languissour que je ne puis . . . . . . . conseiller ès besoignes mon sire nostre père. Et se je vousisse estre demouré por les procurer, si comme je le porchaçai à poer . . . . . . . ou mieu lessier; mais je i retournerai le plus tost que je porrai, por y mettre tout le conseil et toute l’aide que je porrai . . . . . . droiz est. Et sachez, sire, que nous avons gagniés plusours bones viles et chasteaus en Secile à quelque meschief . . . . . . . et avons espérance que tout le païs doit venir à commandement

Escriptes à Cataigne en Secile, à la Saint-Martin d’yver.

De l’autre côté des Alpes, une voix non moins triste s’élevait pour lui répondre: c’était celle de Robert de Béthune, qui annonçait aux ambassadeurs flamands à Rome que les trêves étoient rompues 1893D et que Charles de Valois s’était déjà emparé de Douay, sans que rien pût résister à ses nombreux hommes d’armes.

Robertus Flandriae comitis primogenitus, liberam 1894A tenens comitatus Flandrensis administrationem, Atrebatensis advocatus, Bethuniae ac Tenremondae dominus, dilectis et fidelibus suis dominis Johanni de Menin, militi et consiliario suo, ac Michaeli As Clokettes, capellano suo karissimo, salutem cum sincerae dilectionis affectu. Litteras, quas karissimo patri nostro et nobis scripsistis, vidimus diligenter, quibus consideratis, vobis scribimus quod finaliter procuretis quod summi pontificis amorem et gratiam ac cardinalium habeamus, et quod nobis assistant in tanto periculo in quo sumus, praecipue cum rex Franciae et sui, contra prorogationem treugarum sanctissimi pontificis, terram Flandriae intraverint, pro destructione nostra et terrae nostrae, quod multum debet ipsum summum pontificem et cardinales movere, ex eo quod dictus rex, mandatis summi pontificis et Romanae ecclesiae inobediens est ex toto, super qua inobedientia dicti regis et pluribus aliis per vos exponendis dicto summo pontifici, ad informationem vestram in quadam 1894B cedula plura articulatim hiis praesentibus litteris mittimus interclusa, super quibus cum summa diligentia apud summum pontificem insistatis, praecipue super eo quod sciamus in quo statu idem summus pontifex nos manere debere intendit, et quale remedium in praesenti et in instanti in factis nostris adhibere velit, et super praedictis dicto summo pontifici litteras scribimus, super quarum responsione instantissime insistere velitis, quarum litterarum transcriptum vobis mittimus similiter interclusum. Facta nostra apud summum pontificem et cardinales, sicut expedit, sollicite, de die in diem, cum omni diligentia procuretis, quia, sicut videre potestis, res in eo statu in quo nunc est, dilationem non recipit ullo modo absque totius status nostri subversione totali. De pecunia, pro qua nobis scripsistis, et de servitio, procuravimus et procurabimus toto posse; sed scitis quod ita cito non possumus facere quod voluimus, quia multas et diversas expensas 1894C pro terra nostra munienda et defendenda facere nos oportet; tamen vobis mittimus summam mille et quingentorum florinorum pro necessitatibus vestris et pensionibus cardinalium persolvendis, scituri quod, si rex treugas per dominum papam prorogatas observasset et in nos non insurrexisset vi armorum, summam vobis mississemus ampliorem, etiam ad servitium domino papae et cardinalibus faciendum, sed in munitionibus nostris tot et tanta apponere nos oportet, quod ad praesens ampliorem facere non valemus. Nova quae habebitis in curia et voluntatem papae, quam citius poteritis, nobis rescribatis; praeterea sciatis quod dominus Karolus, frater regis, die mercurii in festo Epiphaniae villam nostram Duacensem occupavit, treugis non obstantibus, prout plenius videbitis in cedula supra dicta, quod domino papae notificare curetis.

Charles de Valois, maître de Douay, s’avança vers 1893D Gand, suivi de 6,000 hommes d’armes. Nevele et d’autres riches villages furent livrés aux flammes, et le port de Damme tomba au pouvoir des Français, qui n’y trouvèrent qu’une vieille femme. Tous 1895A les habitants, sachant que Philippe le Bel avait défendu de les recevoir à merci, avaient fui. Un fils du comte de Flandre, Guillaume de Dampierre, qui avait épousé la fille de Raoul de Nesle, les avait abandonnés pour se rendre près de Charles de Valois, et nous le voyons, peu après, arriver à Gand, afin d’engager son père à se remettre également entre les mains de Philippe le Bel. Un conseil, composé des amis les plus fidèles du vieux comte de Flandre, se réunit: on y remarquait Jean de Menin, Geoffroi de Ransières, Gérard de Moor, les sires d’Audenarde, de Mortagne, de Nevele, de Roubaix, de Verbois, de Bondues. L’avis de Guillaume de Dampierre triompha, et Gui se dirigea vers la France par Tournay et Arras, sous la garde 1895B des comtes de Boulogne et de Sancerre. Gui arriva à Paris le 24 mai 1300. Retenu quelques jours au Châtelet, pendant les fêtes du mariage de Blanche, soeur du roi, avec le duc d’Autriche, il fut bientôt conduit à la cour de Compiègne: «Car le roi,» dit la chronique à laquelle nous empruntons ces détails, «rewarda qu’il ne le voloit laissier si près de lui..»

C’est au moment où la capitulation de Gand a complété la conquête de la Flandre, c’est au moment où Gui de Dampierre s’est livré lui-même à Charles de Valois, que l’alliance de Boniface VIII et de Philippe le Bel se rompt sans retour. Un traité, conclu à Vaucouleurs, entre le roi de France et Albert d’Autriche, dont le pape repousse les prétentions, 1896A a suffi pour amener ce résultat, que Cui de Dampierre a vainement espéré pendant si longtemps, et Boniface VIII, qui n’a plus rien à craindre ni des Colonna, ni de Frédéric d’Aragon, conçoit le double dessein de protéger l’empire contre l’empereur, et de châtier le roi de France en même temps que l’empereur.

Les ambassadeurs flamands à Rome comprirent admirablement la situation des choses: prenant l’initiative de la grande lutte qui se préparait, ils invoquèrent les droits de la Flandre opprimée, comme le champ le plus noble et le plus légitime où la souveraineté pontificale, réunissant le pouvoir temporel au pouvoir spirituel, pût combattre les injustices et les usurpations du roi de France. Le 1896B mémoire qu’ils soumirent au pape dans ce but est l’un des documents inédits qui répandent le plus de lumières sur l’histoire des dernières années du pontificat de Boniface VIII.

In Dei nomine amen.

Quia longum esset et nimium gravaret benignas aures, narrare injurias et gravamina multiplicia et eorum inaudita, illata indebite magnifico domino comiti Flandriae et comitatui, terrae et hominibus suis per illustrem regem Franciae et gentes suas, factum summatim perstringitur, super quo, per pietatem beatissimi patris, imploratur pro parte comitis remedium opportunum apponi, et, siquidem quasi jam, proh dolor, per cuncta christianorum climata notum quod idem rex, in laesionem comitis, ipsum aliquando invitum, facultate libera discedendi non data, inrationabiliter detinuit, et etiam filiam suam nubilem quam 1897A detinuit invitam, hactenus et injuste detinet, discedendi et nubendi facultate adempta; etiam in comitatum et terras et homines ipsius intulit, per se et suos, injurias intollerabiles atque dampna, comitatum sane ipsum hostiliter, cum numerabili multitudine et undique coacto exercitu, invasit, terras plures obsedit, ipsas et etiam per violentiam occupavit; haereditatis etiam spoliavit proventum etiam quod . . . . divitiae fuerunt cum . . . . plurimis et eodem incendio exustae, et . . . . caedes clericorum, religiosorum et laicorum . . . . et crudelissimae . . . . virginum et sanctimonialium, imparabiliter sunt secutae vastationes et depopulationes bonorum et rerum hominum ipsius comitatus, patratae quasi usque ad exanimationem comitatus ipsius: quae attemptata sunt, ut plurimum, et post et contra appellationem ad hanc sanctam sedem pro parte comitis legitime interjectam; post et contra quam appellationem idem dominus rex, in contemptum hujus sedis, 1897B procuravit per dominos Remensem et Silvanectensem episcopos, sine rationabili causa, terram ipsius comitis supponi ecclesiastico interdicto, et ipsum et sibi adhaerentes de facto excommunicari, et fuit pro parte dicti comitis iterato appellatum ad sedem eandem. Insuper, et quod obstinatius, etiam post et contra treugas et sufferantias inter ipsum regem Franciae et illustrem regem Angliae, pro se et eorum confoederatis, initas, et per utrumque regem sollempniter juratas, et per sanctitatem domini nostri more arbitrario confirmatas et approbatas, et ipsis durantibus, contra ipsum comitem confoederatum regis Angliae et terram suam et homines, idem dominus rex Franciae, ipsas treugas, contra sacramentum regale, violando, multa dampna et injurias irrogavit; super quibus et aliis multis gravaminibus et ea contingentibus supplicat idem comes, per summum pontificem, apud sedem apostolicam, contra dictum regem Franciae sibi judicium et misericordiam exhiberi.

1897C Quod autem sanctissimus pater pontifex sit judex in praemissis competens, et non alius, et comes necessario habeat in hac parte adire ejus examen, probatur per infrascripta.

Et primo, quia idem summus pontifex judex est omnium, tam in spiritualibus quam in temporalibus, inter illos qui alios habent judices seculares. Est enim Christi omnipotentis vicarius, ut extra. de translatione praelati, c. Quarto, et adeo plena est sibi hujusmodi vicaria commissa, quae explicite et expressim commissa est suis successoribus in persona Petri; idem est successor per omnia jura terreni et coelestis imperii, quodcumque ligaverit, et caetera, 22, d. c. 1, q. 40, d. c. 1, et juxta illud: ecce duo gladii hi, et juxta illud: Constitui te super gentes, etc., ut c. Sol. Et quamvis reges temporalem exerceant jurisdictionem, et subditi sint regi tanquam praecellenti, et ducibus ab eo missis, hoc 1897D tamen datum est a Petro, et concessum a Deo, summo principe, cujus Dei, non puri hominis, ipse pontifex vices gerit in terris ut d. c. Sol.; et sic, cum omnis potestas a domino Deo sit, apparet quod jurisdictio quorumlibet, tam temporalium quam spiritualium, sibi sicut soli vicario ejus, plenarie sit data, et sicut dominus papa non perdit ordinariam jurisdictionem, si praelaturam ecclesiasticam committit alicubi, sed adiri potest per simplicem querelam, ab omnibus, ut dicunt jura, sicut et in aliis potestatibus erit, quia ab ipso sunt, quia, sive lex dat haereditatem, sive datam approbat, dare videtur, ff. De vera signi., l. Obvenire, et ff. De jure communi, 3, 1, juxta illud divinum, Per me reges regnant, etc., c. De s. tibi inter cl. De hac summa et plenissima potestate, quia resideat in summo pontifice, nulla debet esse dubitatio apud quoscumque fideles.

Secunda ratio est quod contra illos qui judices 1898A non cognoscunt, sine haesitatione aliqua erit judex summus pontifex, unde imperatorem, quo nullus inter principes seculares est superior, judicat et deponit summus pontifex ut extra. De re judic., c. Ad apostolic. et De judiciis, c. Novit et De major. et obed., c. Sol. Rex etiam Franciae, qui nullum superiorem recognoscit, ut dicitur extra. Qui f. sint . . . per venerabilem tamen pontificem judicatur et deponitur propter demerita 15, q. Alius. Et ideo de Romano pontifice dictum est: Constitui te super gentes et regna, et judicem eum esse oportet ita super magnum sicut super parvum, et aliquis potest esse acefalus qui non supra se judicem habeat constitutum, ut in d. c. Novit.: alias perirent jura et justitia, si non esset qui ea redderet, ff. De. ori. jur., l. II, §§ Et originem.

Tertia ratio est quod, ante illationem hujusmodi injuriarum et dampnorum, vel saltem plerorumque ipsorum, et postea, fuit pro parte dicti comitis ad 1898B hanc sedem legitime appellatum. Et quod etiam ratione appellationis dominus noster sit in hiis judex, constat de jure quia omnis oppressus libere appellare potest ad Romanam sedem, ut 2, q. 6, c. Omnis oppressus, etc., ad Romanam ecclesiam omnes oppressi, et est hoc verum de clericis et laicis, maxime cum deficit judex, ut extra. De foro competenti, c. Licet. Deficit autem in proposito judex, quia rex superiorem non cognoscit, ut dixi supra de hoc, no. pr. no. dec. Omnis oppressus.

Quarta ratio est, quia notorie et patenter peccavit rex Franciae in comitem, propter praemissa, et notum est quod ad summum pontificem spectat quemlibet corripere de peccato, ut in c. Novit, et ipse requisivit et requiri fecit comes regem quod emendaret injurias, et nichilominus, tanquam manifesta et notoria, potest summus pontifex facere emendari, ut no. domini Innocentii, in c. Novit, absque ammonitione partis, quia in notoriis non 1898C est ordo juris usquequaque servandus, ut extra. De jur. jur.

Quinta ratio est propter sacrilegium commissum in exustione ecclesiarum, occisione clericorum et religiosorum, quod crimen ecclesiasticum est, et coram judice ecclesiastico debet tractari, 15, q. 1, c. In canonibus, extra. De foro comp., c. Consistit, et sic generaliter ibi. no., et 11, q. 3, c. Canonico, et 17, q. 4, Omnes ecclesiae, et extra. De summa excommunicationis, c. Conquesti, praeterea quod pro filia comitis detenta specialiter est implorandum judicium ecclesiasticum, ratione pietatis et libertatis cui favent jura; enim quilibet potest petere ut liberetur homo captus, ff. de libero homine, l. III, § Omnibus sit, et judicium est ecclesiastici judicis de hoc, ut c. De epi. audi., l. Christianos, et De episcopis et clericis, si liberi captivi, et extra. De arbitriis c. Exposita, et maxime, si nubere intendat, ponenda est in loco tuto et securo, ne per timorem dicat 1898D sibi placere quod odit, extra. De spons. et De procuratoribus, accedit et facit ff. De pet. haered. l. Haereditatis.

Sexta ratio est quia, antea quam ad tot et tanta illicita procederet dominus rex contra comitem, et incepisset domino comiti injuriari et super ipso comitatu, comes requisivit sibi per regem concedi judicium parium, quod in hoc erat competens, quod idem rex sibi facere denegavit, pluries requisitus, et licet aliquando promisisset servare justitiam per judicium parium, tamen ad ultimum id ei denegavit, et ideo successit justitia ecclesiastica, et ipse rex, jure quod habebat in comitatu, ratione feodi, fuit privatus, ut extra. De foro compet., c. Licet, et c. Exteriore, et in usi. fe. si. de. fe. contraria ferentur, c. Domino committente et qualiter dominus prope fe. p., c. 1, cum multis similibus, nec potest dominus rex dicere se judicem super hiis, qui in causa sua judex esse non potest, ut c. Ne quis in sua 1899A causa, in rubro et nigro, et maxime cum agatur vel agi intendatur de suis excessibus, et maxime etiam cum notorie in hac causa esset judex suspectissimus, ut pote qui comiti est notorius persecutor et hostis, et qui nequaquam incorrupti judicis posset nomen proferre, ut extra. De ap., c. Cum speciali, et c. De asse l. f.

Imploratur etiam judicium contra regem et suos, qui hiis durantibus treugis multa in eumdem comitem et terram suam injuriose fecerunt, quam treugam facta pace rex forte dicet non durasse; sed quod duraverit treuga, etiam postquam pax inter reges fuit, constat per terminum, qui terminus adhuc durat, et quod dominus noster possit procedere contra regem, . . . . tum quia treugas praemissas juratas a se constat, tum quia fides etiam hosti servanda est, tum propter religionem sacramenti, propter quod judicium est ecclesiae, extra. De tra. et pa., c. 1, 22, q. 4, c. Invocans, et 23, q. 6, 1899B c. Noli extimare, et extra. De electione, c. Venerabilem, et De foro compet. et clericis laicos, domini Bonefacii papae VIII; praeterea rex non solum tenetur ad emendam dampnorum quae comiti intulit post treugas, ipsis durantibus, sed incidit in poenam in compromisso appositam, quia laudem domini nostri non servarit, et est judex tum rationibus supradictis ad rationem contractus, vel quia hic in curia (ff. De judiciis, l. Omnem, extra. De foro compet. c. f., et c. Romanam, § Contrahentes apud sedem istam) fuerunt ista compromissa praemissa et laudata, nec dicat dominus rex quod treugae fuerint finitae pacifice inter reges, quia illud posset habere locum quoad reges, sed quoad confoederantes, praesertim qui fuerint nominati in treugis, ut sunt comes Flandriae et comitatus suus, donec pacificatum esset cum rege, adhuc durant, quia jus erat quod . . . per expressionem . . . per factum regis Angliae non potuit sibi tolli, ff. De pace, l. f. cum multis. Praeterea forma treugarum seu sufferentiarum juratarum 1899C hoc habet explicite quod inter reges et confoederantes, utrum de guerra ecclesiae ducatus Aquitanniae, item comitatus Flandriae, essent de regno ad regnum, de terra ad terram, de gente ad gentem, etc.. Et ideo a nobis sic juratis non licet recedere, cum papae soli liceat de juramento judicare, et interpretationem facere, ff. Admin., l. Imperatores, et in c. Venerabilem 3, f., et facit pr. ab. c. Innocentes, ibi, sacramenti religione, etc. Quod autem possit dominus noster tempus treugarum prorogare vel compellere ad prorogandum, probatur, quia potestatem habet ex forma reservationis quam sibi fecit, ut apparet ex forma, quia reservavit sibi addere et minuere, et semel et pluries laudare, etc., ut ff. De arbitrio, et lex Expens., l. Terminato, 3, f. c. Potest et de jure, etsi hoc non haberet ex arbitraria potestate, cum videat tantam et sic displicentem discordiam inter regem et comitem, unde possit in posterum guerra subscitari, et 1899D inter reges maxime, quod non sit credibile quod dominus rex Angliae possit vel debeat tolerare comitem, cui fide data defensionem promisit, totaliter per dominum regem Franciae conculcari. Ne videatur dominus dissimulando ipsi favere, potest compellere ad treugas competentes prorogandas, ut extra. 1900A De judicio, c. Novit. in fine. Similariter dominus noster posset regem Franciae compellere ad compellere ad pacem cum comite, videtur indubitanter, quod sic per dictum c. Novit. hoc idem facit imperator, quia pacem indicit subjectis, ut in usibus, de pace tenenda. q. c., immo et mandat hiis qui regunt pro inimicis, quod provideatur ne populi civitatum aliis guerram seu subjectionem faciant, sed omnino habeant pacem. (In aut. d. Principium, c. De in. et ff. De offi. praesid., l. Congruit.) Hoc dicit ff. De us., l. Aequissimum: Praetor prohibet et cohibet sua jurisdictione ne aliqui veniant ad arma et rixas. Hoc docuit semper ille summus magister, et verbo et opere, qui semper dicebat: Pax vobis, pacem meam do vobis, pacem relinquo vobis, quae verba sunt attendenda, quia mandatum important, quod exequendum est per vicarium, et hujusmodi haereditas relicta non est refutanda, nec negligenda, sed manutenenda et approbanda.

1900B Praedicta colligit scribentis inscitia secundum sui modicitatem intellectus, cum ubi viget apex, ubi omnis perfecta in pectore condita peritia, ubi omnis potestas et omne pastorale officium, ubi summa pietas et clementia est, inter jus et aequitatem interpretatio clementius et subtilius consideretur, et pro filio semper devotissimo ecclesiae, comite Flandriae, exposito nequiter ad ruinam, celere capiat et ponat opportunum consilium pii patris potestas.

Une lettre écrite par les ambassadeurs flamands dans les premiers jours du mois de janvier 1299 (v. st.), nous apprend comment fut accueillie cette déclaration solennelle où l’on invoquait l’autorité pontificale placée par Dieu au-dessus de toutes les nations et armée des deux glaives trouvés à la montagne des Oliviers, c’est-à-dire de la puissance spirituelle et de la puissance temporelle, non-seulement 1900C comme l’unique refuge des opprimés contre les princes qui ne reconnaissaient aucun juge au-dessus d’eux, mais aussi comme le pouvoir supréme investi du droit de déposer le roi de France et l’empereur.

Très-chiers sires, nous vous avons, par pluseurs lettres et par pluseurs messages, escript et fait savoir l’estat de vos besongnes pour quoy nous sommes à Rome de par vous, et atendons et avons attendut piécha de savoir vo volentei, sans lequele nous ne pooins ne ne savoins aler ne avant ne arrière de vos besoignes; et de che poés vous bien iestre certains, se vous ne rewardeis et faites rewarder les lettres ke nous vous avoiens envoiés puis le Saint-Remy en encha, et tant de tans a passei puis ke vous aveis recheuwes les lettres. Or, pluseurs de ces ke au tans de ches présentes lettres furent faites, nous en deussiens bien avoir seut 1900D autre chose. Et d’autre part, sire, nous vous avoins adiès fait savoir le grand besoing et le destroit où nous sommes de nos pourvéances. Et de tout ce, sire, nous n’oons nulle nouvièle. Nous n’osons mie dire, sïre, ke nuls n’a cure des besoingnes et de nous par dechà; mais nous avoins grant peur ke 1901A vous n’ayés essoigne, dont Dius vous deffende, qui trop seroit grande à che ke ele vous empechât à faire savoir à nous vo volentei sour les choses deseuredittes. Ou nous doutons, se vous aveis à nous envoiiés messages, k’il ne soient pris ou mort, ensi comme il est autrefois avenut. Et, sire, nous attenderons dusques à Paskes, se vous, sire, ne nous en remandés chi en dedens. Et de che et d’autres coses nous avoins envoiés nos lettres à vous et à mon signeur vo fil par Ghiselin de Locres et par Marischal, qui se partirent de nous le diemence après le XIIJe jour dou Noël, auquel XIIJe jour messire Mathius de Aighesparte preecha en apiert, devant le pape et les cardinaus et devans tous, en l’église Sainct-Jehan de Latran, que li pape tous seus est sire souverains temporeus et spirituels deseure tous, quelque il soient, ou liu de Diu, par le don ke Dius en fist à saint Pierre, et as apostoles après lui. Et quiconques se voet encontre ce deffendre, par exemption ne par cose nulle, quelque il soit ne 1901B comme grans, saincte Eglise puet aler encontre lui, si comme encontre mescréant, par l’espée temporel et spirituel, del autoritei et dou pooir de Diu. Et ches paroles sont bien pour le premier aiwe de vos raisons ki sont données au pape, dont nous vous avons envoiet autrefois les transcris. Joesdi ore que passa dairainement, nous parlames au pape, et luy ramenteumes vo besoingne, et li desimes ke vous estiés en wiére ouverte, et par le roy. Li papes respondi k’il en estoit bien ramenteus, et k’il attendoit message prochainement, et ke sour ce il s’aviseroit, et nous responderoit assés tost. Et dist qu’il vooit bien que li rois usoit de mauvais conseil, et ce pesoit au pape; aujourdewy, sire, li pape a fait (sire, c’est le samedi après le vintisme jour) li pape a fait archevesque de Trièves de frère Thétier , jadis frère au roy Adoulf, ki fu rois d’Allemagne, et dist-on, et nous le tenoins pour certain, ke li acors et amistei ki est faite entre les rois 1901C d’Allemagne et de Franche lui desplait, et ke pour mal dou roy d’Allemagne il a fait cest archevesque, et ke il li pourcacera empeecement ou emcombrier, s’il puet, et que, se aucuns lui fasoit emcombrier, li pape en seroit bien lies et li église de Roume, et bien leur sanle ke il et li rois de Franche voellent tout esbranler. Chiers sire, souviègne-vous, s’il vous plaist, de vos besoignes par dechà et de nous, et Nostre Sires ne vous ouvli, et soit warde de vous et de tous cheaus ki bien vous voelent. Sire, nous 1902A n’escrivoins à autruy ke à vous. Vous fereis savoir avant vo volontei là où il vous plera. Ches lettres furent données à Roume, au Lateran le samedy devantdit.

Chers sires, autèles lettres vous envoions-nous par monsigneur Willaume de Jullers, le prévos de Treit, vo neuveu, ki les vous apportera ou envoiera par avanture avant, car nous entendons k’il doit à Boulogne demorer escoliers. Sire, nous avons entendunt, et tenons pour véritei, ke li pape a faict réservation de faire archevesque à Coulogne et à Mayence, et he li liu seront vaghe plutost que on ne quide, et ke li pape i mettera personnes dont il se pora aidier contre le roy d’Allemagne; mais il ne treuve mie personnes bien appareillié; car il n’y mettera nul del acort le roi d’Allemagne, ne dou roy de France, ne d’Engletierre, ne Lombart; anchois vorra querre personnes poissans dou pays, qui puissent et doient estre contraire au roy d’Allemagne, dont il porra 1902B bien avenir que vos niés venist al une de ches dignitez par l’aiuwe de vous, de vos amis et des siens, s’il est bien maintenus en escole, et, ensi ke on devera, on ne fera mie morir les archevesques, mais li pape en fera bien ordener par qoi li liu seront vaghe. Ches choses créons nous ensi, mais nous ne savons de certain comment il en avenra. Et messire Guis de Haynaut, vos niés, eust eu l’archeveké de Trièves, ensi comme nous l’entendons de certain, se ne fust li alliances ke ses freres a au roy de France et voluntatem vestram cum fiducia remandetis, scientes quod ex toto corde facerem quae vestro commodo cederent et honori. Valete in Domino. Salutate michi omnes quos videritis salutandos. Datum feria tertia post Mathiam.

Bientôt le discours du cardinal d’Aqua-Sparta reçut une éclatante sanction. Le pape parut au milieu du grand jubilé de l’an 1300 avec les doubles insignes de l’autorité spirituelle et temporelle, et répétant à haute voix: Ecce duo gladii; hic vides, o Petre, successorem tuum; tu, salutifer Christe, 1902C cerne tuum vicarium. Toute l’Europe était accourue à Rome, et le nombre des pèlerins qui se pressaient aux portes des saintes basiliques avait effacé les plus pompeux souvenirs de la cité, deux fois reine du monde. C’était à la fois la manifestation d’un immense enthousiasme religieux et la manifestation de la puissance dont l’autorité pontificale restait armée aux yeux des peuples.

1903A Boniface VIII a envoyé l’évêque de Pamiers ordonner au roi de France de rendre la liberté à Gui de Dampierre: mais Philippe le Bel ne répond qu’en jetant dans une prison le légat du pape, et en appelant les Colonna à sa cour. Boniface VIII, en même temps qu’il accueille les plaintes du comte de Flandre, se souvient des plaintes non moins vives et non moins fréquentes de l’ordre de Cîteaux . Le 4 décembre 1301, il suspend tous les priviléges accordés au roi pour la levée des dîmes; le lendemain deux autres bulles sont publiées. Par la bulle Ausculta fili il expose la puissance dont il est dépositaire, comme vicaire de Jésus-Christ et comme successeur de saint Pierre: Constituit nos Deus super reges et regna ad evellendum, 1903B destruendum, dissipandum atque aedificandum sub ejus nomine et doctrina. Fili carissime, nemo tibi suadeat quod superiorem non habes. Mais il ne faut pas croire, comme l’ont trop souvent répété les historiens modernes, que la papauté dût être aux yeux de Boniface VIII la réunion, ou pour mieux dire, la confusion des deux pouvoirs exercés simultanément. Boniface VIII disait lui-même qu’on ne pouvait lui attribuer une si grande ignorance ou un si grand aveuglement que de ne pas connaître la séparation des deux pouvoirs. L’empereur et les rois exerçaient seuls la puissance temporelle: à eux l’usage, l’action, le domaine des faits. Le droit, toutefois, restait subordonné à l’autorité spirituelle, appelée à distinguer ce qui était juste 1903C de ce qui était injuste, et investie d’une juridiction incontestable, ratione peccati, soit qu’il convînt de rappeler un chrétien obscur à la pénitence, soit qu’il fallût briser la couronne des princes les plus puissants. Cette théorie s’appuyait sur ce principe, alors universellement admis, que la société reposait sur la religion, elle était à la fois modératrice pour les princes, protectrice pour les 1904A peuples, à qui elle offrait l’égalité vis-à-vis du tribunal suprême qui représentait sur la terre celui de Dieu.

La bulle: Ausculta fili offre d’ailleurs un intérêt tout spécial dans la question qui nous occupe; car elle aborde successivement les deux griefs qui s’élevaient contre le gouvernement de Philippe le Bel; d’une part l’oppression de Gui de Dampierre, c’est-à-dire, celle des grands vassaux; d’autre part l’oppression du clergé et des ordres religieux. Lorsque Boniface VIII disait à Philippe le Bel: Gravas pares, comites et barones . . . . cum in judicio esse debeat distinctio personarum, tu tamen in propriis causis jus tibi dicis, et in proprio judicio partes actoris et judicis sortiris, il répétait ce qu’avait dit Gui de Dampierre dans l’acte d’appel du 29 décembre 1299- 1904B Lorsqu’il adressait au roi de France d’autres reproches, ainsi conçus: Ecclesias et ecclesiasticas personas opprimis . . . , decimas fieri facis, licet in clericos nulla sit laicis attributa potestas . . . , ecclesiasticae personae quasi sub jugo servitutis premuntur . . . , ecclesiae nunc factae sunt sub tributo, il reproduisait assez exactement les termes de cet autre acte d’appel qui avait été soumis au siége pontifical par l’ordre de Cîteaux.

La seconde bulle, du 5 décembre 1301, semble rappeler la mission plus modeste que Boniface VIII remplissait au nom des communes flamandes avant son exaltation au trône pontifical: Ante promotionem nostram ad summi apostolatus officium, dum adhuc nos minor status haberet, multa sunt reserata 1904C fide digna, assertione multorum, super injuriis atque damnis quae per Philippum regem Francorum multipliciter inferuntur.

Jacques de Normanno, archidiacre de Narbonne, à qui ces bulles avaient été remises, reçut l’ordre de quitter la France, et la bulle Ausculta, fili fut publiquement brûlée par l’ordre du roi, le dimanche 11 février 1301 (v. st.). On trouve dans les preuves 1905A de Dupuy un mémoire rédigé à cette occasion par un avocat de Coutances, nommé Pierre du Bois ou du Bos, où on lit: Forte expediret Romanos pontifices fore pauperes, sicut olim fuerunt, ut sancti essent. Des recherches plus récentes faites par M. de Wailly permettent d’attribuer aussi à Pierre du Bois un opuscule dans lequel il engageait Philippe le Bel à réunir au royaume de France, Rome et le patrimoine de saint Pierre, et où l’on trouve, de plus, dès la première page, la maxime si vivement reprochée aux ministres de Philippe le Bel dans l’acte d’appel de l’ordre de Cîteaux: Qui principi non obedierit, morte moriatur. Ce travail d’un avocat de Coutances, qui fut peut-être le confident et le secrétaire d’Enguerrand de Marigny (Enguerrand 1905B le Portier avait pris son nom du bourg de Marigny, situé à quatre lieues de Coutances) est d’autant plus important que Philippe le Bel semble y avoir puisé plusieurs de ses ordonnances, et il est un aperçu qu’il faut signaler, parce qu’il donne 1906A lieu à un rapprochement tout à fait nouveau. Philippe le Bel, qui, dans son langage et dans ses violences, devança tant de fois Henri VIII, eut, comme celui-ci, la pensée qu’en supprimant le célibat ecclésiastique, il ferait entrer le prêtre tout entier dans la société civile, et qu’il romprait les liens fondés sur l’abnégation et l’obéissance qui unissent le sacerdoce à la suprématie de l’autorité religieuse. Philippe le Bel se faisait remontrer par maître Pierre du Bois que les voeux du célibat n’avaient d’autre source que l’erreur de quelques vieillards qui avaient oublié les passions de ce monde, qu’il en résultait un grand danger pour les âmes, et que le pape, et le roi à défaut du pape, avait le droit de les abolir, puisque tant de règles prescrites dans l’ancienne 1906B loi avaient été modifiées dans le Nouveau Testament. Une bulle fut composée, et elle s’est conservée dans les manuscrits de la bibliothèque de l’université de Gand, plura sapere quam oporteat contra doctrinam apostoli appetentes, more haeretico dicunt et credunt Romanum pontificem, illosque qui ad sacros ordines sunt promoti, non posse per dispensationem Romani pontificis matrimonialiter copulari, Nichenum concilium, Carthaginasiaque concilia, pluresque constitutiones nostrorum praedecessorum advertentes, idcirco nos, habentes sollicitudinem pastoralis officii, utendo potestate nostra, contra quam nullus princeps vel aliquis debet vel potest ausu aliquo contraire, volentesque huic morbo haeretico medelam 1906C congruam adhibere, considerantes praedecessores nostros in suis constitutionibus nos ligare nullatenus potuisse, sacrumque matrimonium, generaliter per institutionem in paradiso a Deo approbatum, et apostolorum actuali exemplo roboratum, ecclesiasticis personis non interdici, sed tanquam salubri favore subnixum cunctis christicolis fore permissum licitumque debere: nos igitur, ad perpetuam rei memoriam, praesenti decreto, de fratrum nostrorum consilio, statuimus Romanum pontificem, omnesque personas ecclesiasticas, seculares et regulares, utriusque sexus, cujuscumque dignitatis, ordinis seu religionis existant, si voluerint, posse cum unica vel unico virgine matrimonialiter copulari, dummodo personae praedictae tricesimum annum in suis ordinibus non compleverint. In die tamen quo celebrare debebunt, a suis uxoribus abstineant, ut facilius quod a Deo postulant valeant adipisci. Si vero filii vel filiae in talibus matrimoniis fuerint procreati, parentibus suis, in bonis 1906D patrimonialibus et de rebus ecclesiasticis nullatenus augmentatis tantummodo succedant. Quod si parentes nulla bona patrimonialia vel minus sufficientia pro praedictis filiis dimiserint: si summi pontificis aut cardinalium filii fuerint, a successore Romano pontifice nutriantur, omnes quoque religiosorum liberi in ipso caenobio assignata eis condecenti pensione, educentur, proviso tamen moderamine ne ipsi egestate pereant, et quoque sacrum monasterium nimium non gravetur; sin autem plebanorum seu curatorum liberi remanserint, parochiani eis victualia, aliaque necessaria administrent. Nulli ergo homini liceat hanc nostrae constitutionis paginam infringere, aut ei ausu temerario contraire. Si quis autem aliud tradiderit, indignationem omnipotentis Dei noverit se incursurum, nosque contra eum quasi haereticum processuros, 1907D quodque cunctis haec licere jussimus, nostris successoribus indicamus. Datum Romae apud Sanctum Petrum, tertio ydus maii, pontificatus nostri anno tertio.. Dès les premières lignes, la rédaction ne permet pas de douter qu’on n’ait voulu l’attribuer à 1907A Boniface VIII; l’avis de maître Pierre du Bois confirme cette hypothèse. Peut-être les Colonna, alors réfugiés en France, lui firent-ils donner une date qui était celle des poursuites dirigées contre eux par le pape, et l’on comprendrait ici d’autant mieux l’intervention des Colonna, que Boniface VIII, en appelant au cardinalat son neveu François Gaetani, l’obligea de se séparer de sa femme, soeur de Raynaldo Supino, l’ami et le compagnon de Sciarra Colonna. Dans tous les cas on ne peut se tromper, ni sur sa source, ni sur sa véritable date, en la reléguant à côté de la fausse bulle: Scire te volumus quod in spiritualibus et temporalibus nobis subes . . . . aliud credentes haereticos reputamus.

1907B Nous avons bien le droit de nier la bonne foi et la loyauté de Philippe le Bel, puisque nous trouvons, au has de ses manifestes contre Boniface VIII, le nom de Jean de Pontoise, abbé de Cîteaux, et celui du fils ainé de Robert de Béthune, double mensonge, digne des légistes qui avaient déjà contrefait les bulles pontificales.

Les états généraux ayant été réunis à Paris le 10 avril 1301 (v. st.), Pierre Flotte leur adressa en termes emphatiques un long discours fort injurieux pour le pape, et leur fit signer un mémoire qui avait été préparé d’avance. Le clergé même y adhéra, bien qu’en un langage plus respectueux pour l’autorité pontificale. Boniface VIII répondit, soit directement, soit par la bouche des cardinaux, aux 1907C plaintes des trois ordres, et c’est probablement à cette époque qu’appartient une grande bulle, où, en défendant aux évêques de quitter dorénavant leurs diocèses, il s’exprime en ces termes:

Bonifacius, episcopus, servus servorum Dei, ad perpetuam rei memoriam: Traxit hactenus sancta mater Ecclesia in plerisque partibus orbis terrae profunda suspiria, cujus praesunt nonnulli regimini, qui pastorum solum nomen obtinent, et commissum sibi gregem dominicum, discurrentes per loca dispersi varia, pervagando tanquam mercenarii, proh dolor, lupis oves exponunt, imperatorum, regum, principum et baronum ac aliorum potentium obsequiis insistentes, ac aliis exquisitis coloribus, quos ex causa tacemus ad praesens, se frequenter absentant, ac spirituali temporale, transitoriumque commodum anteponunt, aut minus prudenter 1907D attendunt, quod pastor discipulis suis ac eorum successoribus per eosdem declaratis ait: Bonus pastor animam suam pro ovibus suis ponit, et scriptum alibi reperitur pastorem teneri vultum sui recognoscere pecoris, quod impleri nec possit ydonee quasi continue separati ab eo, sicque passim obliti, nec absit suae salutis dispendio quod de 1908A temporalium ac spiritualium administratione quam negligunt, in districti judicis examine respondebunt, quae non absque dura cordis angustia recensemus, attenta meditatione pensantes quod inde populus christianus periclitatur multotiens ob defectum regiminis juxta illud: Populus cui non est gubernator corruet, et scandala gravia prodierunt. Ne igitur tam dampnosum, tam dampnabilem sustinendo defectum, divinam, quod absit, incurrere nos contingat offensam, qui locum ejus, licèt immeriti, obtinemus in terris, cui Dominus omnes oves suas pascendas commisit, de fratrum nostrorum consilio, irrefragabili constitutione statuimus, tam pastorum quam gregum omnium animabus providere salubriter cupientes, ut omnes patriarchae, primates, archiepiscopi, episcopi, abbates . . . . . in ecclesiis quibus praesunt, continue resideant ac fideliter amodo deserviant infra mensem a die quo praesens salubre statutum ad notitiam devenerit eorumdem, alioquin patriarchatus, primatiae, archiepiscopatus, 1908B episcopatus, caeteraque beneficia post elapsum terminum praetaxatum libera sint et vacantia ipso jure. Nec volumus quod a quocumque super residentia in eisdem beneficiis minime facienda sine licentia sedis apostolicae speciali eis valeat dispensari .

Dans les derniers jours du mois d’août, le pape tint un grand consistoire en présence de l’évêque d’Auxerre, envoyé du roi et des députés du clergé. Après un discours du cardinal Matthieu d’Aquasparta, il prit lui-même la parole pour dire que, s’il avait beaucoup aimé le roi de France, Philippe, son père, et saint Louis, son aïeul, il savait aussi qu’il avait le droit de le déposer, et que ce droit deviendrait peut-être pour lui un devoir impérieux et une triste nécessité, et il ajouta: Si rex non resipiscat, 1908C pro tempore futuro responderemus: Nos scimus secreta regni, nihil latet nos, omnia palpavimus; nos scimus quomodo diligunt Gallicos Allemani, et illi de Lingadoch et Burgundi, qui possunt dicere illis quod B. Bernardus dixit de Romanis: Amantes neminem, amat vos nemo . . . Volumus quod iste Petrus Flote puniatur temporaliter et spiritualiter, sed rogamus Deum quod reservet nobis eum puniendum, sicut justum est. Satellites istius Achitophel sunt comes Attrebatensis (qualis homo est totus mundus scit) et comes Sancti Pauli.

Sans doute, ces paroles parurent plus tard prophétiques à la plupart de ceux qui les avaient entendues. Peu de jours après ce consistoire, peutêtre 1908D la nuit qui le suivit, un messager arrivé de Flandre annonça au pape que l’armée française avait été vaincue sous les remparts de Courtray par quelques bourgeois et quelques laboureurs, réunis à la hâte et à peine armés. Un frère convers de l’ordre de Cîteaux, transfuge enrôlé dans la vaillante 1909A phalange qui sauva la patrie, avait renversé à ses pieds le comte d’Artois, et Pierre Flotte avait partagé son sort. Boniface VIII, sans perdre une heure, fit réveiller Michel As Clokettes, et le fit conduire au palais du Vatican pour lui apprendre le triomphe des communes de Flandre, que suivit de près, comme II l’avait annoncé, l’insurrection du Languedoc.

Boniface VIII avait convoqué un concile à Rome aux fètes de la Toussaint 1302. Malgré les menaces de Philippe le Bel, on y vit les archevêques de Tours, de Bordeaux, de Bourges et d’Auch; les évêques d’Angers, de Nantes, de Vannes, de Rennes, de Quimper, de Léon, de Tréguier, de Saint-Brieuc, de Toulouse, de Pamiers, de Périgueux, de Saintes, 1909B de Comminges, de Rhodez, d’Agde, de Lescar, de Lectoure, d’Oloron, d’Aire, de Mende, de Nîmes, de Carcassone, de Bazas, du Puy, d’Autun, de Châlons-sur-Saône, de Mâcon, d’Alby, d’Aix, de Clermont, les abbés de Cîteaux, de Cluny, de Prémontré, de Marmoutiers, de Beaulieu et de la Chaise-Dieu .

Le 21 octobre, le roi de France donna à ses baillis l’ordre de prendre possession des biens des prélats et des abbés qui s’étaient rendus à Rome, attendu, disait-il, qu’il craignait que ces biens ne souffrissent de leur absence, et que, dans sa prévoyance, il jugeait de beaucoup préférable de s’en réserver lui-même la garde.

1909C Cette mesure paraît avoir été principalement dirigée contre l’ordre de Cîteaux. Philippe le Bel 1910A n’avait pu oublier que l’acte d’appel des religieux cisterciens avait provoqué la bulle Clericis laicos, et il n’ignorait pas que depuis cette époque leurs plaintes n’avaient cessé de retentir à Rome. C’était un ancien moine de Cîteaux, Simon de Beaulieu, évêque de Palestrine, qui était venu, à la fin de l’année 1296, menacer le roi de France d’excommunication. Enfin, parmi les cardinaux, il en était un, jadis abbé de Cîteaux, qui se faisait remarquer par son dévouement au pape. Si nous recherchons jusque dans la Flandre les traces de la résistance de l’ordre de Cîteaux, nous ferons remarquer que l’abbé des Dunes, Jacques de Biervliet, opposa les protestations les plus énergiques à la levée des dîmes royales, et la chronique de ce monastère 1910B ajoute qu’il avait été pendant longtemps attaché comme pénitencier au pape Boniface VIII. L’inébranlable fermeté de l’abbé de Cîteaux, Jean de Pontoise, qui avait succédé, en 1299, à l’abbé Ruffin, n’excitait pas moins la colère du roi de France: il voulait punir l’ordre tout entier de la fidélité que Jean de Pontoise conservait au siége pontifical, et on comprend aisément qu’il ait voulu le frapper en lui enlevant les vastes propriétés territoriales qui couvraient le sol de la France. Peut-être même Philippe le Bel avait-il formé le projet de s’attacher les nobles en leur restituant, dans une confiscation générale des biens de l’ordre de Cîteaux, tous ceux que les abbayes devaient à la pieuse générosité de leurs ancêtres 1910C .

1911A Rien ne révèle davantage la gravite du péril que l’énergie que mit Boniface VIII à le conjurer. Le 8 janvier 1302 (v. st.), il écrivit aux abbés de Saint-Étienne, de Dijon, de Saint-Victor, de Marseille, de Saint-Paul, de Besançon, et à d’autres abbés, pour qu’ils prissent sous leur protection les biens de l’ordre de Cîteaux, qui se trouvait en butte aux persécutions les plus coupables et les plus impies. Que les temps étaient changés depuis que saint Louis avait pris plaisir à élever cette magnifique abbaye de Royaumont (regalis mons), où il jeûnait et priait avec les moines de l’ordre de Cîteaux, de même que, plus tard, il voulut mourir selon leur règle, étendu sur la cendre, comme sa mère, Blanche de Castille, était morte elle-même entre les bras 1911B des religieuses cisterciennes de Maubuisson!

Au même moment, l’évêque de Tournay, obéissant aux instructions secrètes de Philippe le Bel, ordonnait à toutes les autorités ecclésiastiques de la Flandre de cesser les fonctions de leur ministère. Le 7 décembre 1302, on lut solennellement à Bruges, dans le choeur de l’église de Saint Donat, la protestation suivante:

In nomine Domini, anno MoCCCoIIo, die septima mensis decembris, ego Michael . . . . . . clericus, procurator villae Brugensis, in praesentia notarii publici: quia reverendus pater, dominus Guido, Dei gratia, venerabilis Tornacensis episcopus, seu ejus vicarii, omnes decanos christianitatum in terra Flandriae existentes, nuper ab officio decanatuum suspendiderunt, ac sigilla quibus uti consueverunt 1911C sibi Tornaci transmitti mandaverunt, ipsos decanos monendo ut infra certum tempus ad hoc praefixum, sub poena suspensionis et amissionis suorum beneficiorum, suis mandatis parerent, cum populus terrae Flandriae sine pastore, aut vices ejus gerente, salubriter regi nequeat, nec ad invicem communicare, et, propter justum metum, qui potest et debet cadere in constantem, et viarum pericula, ac guerram notoriam et manifestam, quae jam diu fuit et adhuc est inter Francigenas et Flandrenses, nemo totius comitatus Flandrensis, propter beneficium, sibi impertiri et impendi si indigeat, habendum et impetrandum, etiam propter bannos matrimoniales, de personis extraneorum decanatuum et 1912A dyochesium, ita quod secure ad sollempnisationem matrimoniorum procedi poterit, habendos et impetrandos, quod saepe contingit in dicto comitatu, et specialiter infra villam Brugensem et territorium ejusdem, ac fieri est consuetum, etiam et propter curatum seu rectorem habendum in parochiali ecclesia, quae per mortem sui rectoris fuerit desolata, liberum ad curiam Tornacensem, quae est de districtu illustris principis, domini Philippi regis Francorum, aditum nequeat habere, nec recessum: de quibus omnibus supradictis unusquisque decanus in suo decanatu, populo, vice et nomine episcopi, solebat providere et praestare juvamen, et talia et consimilia ab antiquis temporibus per decanos christianitatum provideri et fieri consueverunt, etc.

Lorsque peu après Philippe de Thiette revint à Bruges, une décision plus importante fut prise: on résolut de supplier Boniface VIII de créer en 1912B Flandre des évêques qui, au lieu d’être les constants instruments de la politique étrangère, entretiendraient chez les populations probes, laborieuses et simples la foi religieuse qu’elles avaient conservée intacte, malgré tant d’excommunications et tant d’interdits, au milieu des guerres les plus sanglantes.

Supplicant sanctitati vestrae clerus et populus Flandrensis, Tornacensis, Morinensis et Attrebatensis dyocesium, etc., cum plurimi eorum excommunicationis, suspensionis et interdicti sententiis a canonibus aut statutis synodalibus vel provincialibus, vel etiam ab ordinariis aut delegatis judicibus se dubitent irretitos, plurimae etiam ecclesiae comitatus et diocesium praedictorum sint per effusionem sanguinis aut saevius violatae, et in 1912C nonnullis ecclesiis ac cymeteriis comitatus et dyocesium eorumdem propter eorum immunitatem infractam aut interfectionem, mutilationem, vulnerationem, verberationem vel captionem personarum ecclesiasticarum aut laycarum, per statuta provincialia aut synodalia a divinis et sepulturis cessetur, non sine infinitis animarum periculis, diminutione cultus divini, injuria fidelium defunctorum ac plurimo decremento salutis vivorum, nec possint super hiis a propriis episcopis seu eorum vicariis aut praedictis judicibus opportuna remedia obtinere, tum propter asperrimam persecutionem domini regis Francorum illustris assidue saevientem in ipsos, tum reverendi dicti domini episcopi, dicto domino 1913A regi plus debito faventes, eos de die in diem graviter opprimunt et injuriis afficiunt manifestis; quanquam ipsi parati sint et semper fuerint, praedictos dominos episcopos tanquam patres in Christo reverendos humiliter revereri, et eorum mandatis salutaribus obedire, nec ad horam a patriae suae defensione abesse: dignemini, pater sanctissime, ipsis in hac parte misericorditer subvenire, committendo aliquibus qui auctoritate apostolica eis de absolutionis, reconciliationis, dispensationis, si opus fuerit, et relaxationis beneficiis; per se vel per alios, provideant opportune.

Item supplicant sanctitati vestrae clerus et populus, ut supra, ut, cum personae electae ad ecclesiasticas dignitates aut ad ecclesias parochiales vacantes vel alia quaecunque ecclesiastica beneficia, et quaelibet regulares et seculares, comitatus et dyocesium praedictorum praesentari non valeant, venerabilibus patribus, propriis episcopis, seu eorum 1913B vicariis, ut institutionem canonicam et ordines consequantur, et causae eorum matrimoniales aut aliae quaelibet spirituales expediri non possint, non patent eis ad praefatos dominos episcopos seu eorum vicarios aut judices competentes accessus, propter guerram asperrimam illustris domini regis Francorum ipsis assidue ingruentem; ex quibus contingit dictas ecclesias propriis defraudari rectoribus, Christique fideles propriorum sacerdotum cura destitui, cultum divinum diminui, ac plurima provenire pericula animarum: dignemini, pater sanctissime, ipsis contra haec misericorditer providere, mandando alicui vel aliquibus, qui cuilibet ipsorum auctoritate apostolica vices dictorum dominorum episcoporum et judicum, per se vel per alium aut alios, suppleant opportune.

Item, supplicant sanctitati vestrae Philippus, natus comitis Flandrensis, Theatae et Laureti comes, ac clerus et populus comitatus Flandrensis, sibi de 1913C vestrae sanctitatis benignitate concedi, quod, cum ad sumptus defensionis terrae Flandrensis contra potentiam domini Philippi regis Francorum illustris, propriae praedictorum Philippi ac populi laycorum non suppetant facultates, possint licite ab ecclesiis, ecclesiasticis personis dicti comitatus opportunum ad hoc subsidium exigere et percipere, ac praedictae ecclesiae et personae ipsius valeant licite exhibere constitutione vestra super hiis, pro immunitate ecclesiarum tuenda et personarum hujusmodi, edita non obstante, ac de relaxatione sententiarum et irregularitatis, si quas faciendo contra constitutionem eamdem, necessitate urgente, et postea miscendo se divinis, incurrerunt, sibi misericorditer indulgere.

Petitio creationis unius novi episcopi vel duorum in comitatu Flandrensi: inductiva tamen ad id videntur haec posse proponi.

1913D Quod licet comitatus Flandrensis in pluribus dyocesibus se extendat, sedes tamen episcopales, ad quas propter necessarium episcopale officium et ecclesiastica sacramenta ac plura alia oportet haberi recursum, sitae sunt in terris inimicorum suorum.

Item, posito quod, dante Domino, pacificetur guerra, metus tamen erit ne habitatores hinc inde remaneant ad mutuas contumelias priores, ex quibus posset periculosa turbatio suscitari.

Item, quod maxima pars comitatus habet in usu ydioma theutonicum, quapropter non valent ydonee salutaribus monitis per suos episcopos informari, qui sui ydiomatis sunt ignari.

Item, quod dyoceses ad quas . . . . pertinent ita diffusae sunt, et episcopatus ita pingues, quod sine 1914A gravi incommodo potest fieri eorum divisio opportuna.

Item, quod in comitatu Flandrensi sunt plures dignitates et ecclesiae seu monasteria ita dotatae, quod sine gravi praejudicio ipsorum possit uni episcopo aut duobus de parte aliqua proventuum suorum congrue subveniri.

Supplicant sanctitati vestrae clerus et populus comitatus Flandrensis ut, cum in comitatu eodem sint plures ecclesiae ac cymeteria Tornacensis, Morinensis et Attrebatensis dyocesium per effusionem sanguinis et saevius violata, et in nonnullis ecclesiis et cymeteriis comitatus ejusdem propter eorum immunitatem infractam, aut propter interfectionem, vulnerationem, verberationem vel captionem personarum ecclesiasticarum, per provinciales aut synodales constitutiones a divinis et sepulturis cessetur, propter quae cultus divinus minuitur, tepescit devotio, pululat insolentia minimi 1914B rectorum . . . . . multiplicantur animarum pericula, et fideles defuncti carent opportunis suffragiis et ecclesiasticis sepulturis, nec non a venerabilibus patribus, propriis episcopis, aut eorum vicariis, possint istis temporibus super hiis remedia obtineri: dignemini, pater sanctissime, alio aut aliis committere, qui auctoritate apostolica vices praefatorum dominorum episcoporum suppleant in praemissis.

Supplicant sanctitati vestrae clerus et populus comitatus Flandrensis, Ternacensis, Morinensis dyocesium, ut, cum personae electae ad ecclesiasticas dignitates aut ad ecclesias parochiales vacantes, vel ad alia quaecumque beneficia ecclesiastica, et quilibet clerici, regulares vel seculares, comitatus et dyocesium praedictorum, propter guerram asperrimam domini regis Francorum illustris contra Flandrenses, praesentari non valeant venerabilibus patribus, propriis episcopis, seu eorum vicariis, 1914C ut institutionem canonicam et ordines consequantur; ex quibus contingit dictas ecclesias debitis defraudari rectoribus et ministris, Christique fideles propriorum sacerdotum cura destitui, cultum divinum minui, ac plurima opera salutis . . . . . . . . , et tam ipsis ecclesiis et patronis earum, clericis vel laycis, quam electis et clericis praedictis multiplex praejudicium suboriri: dignemini, pater sanctissime, misericorditer providere quatinus hiis et similibus dictorum dominorum episcoporum vices congruo suppleantur in comitatu praedicto.

Item, quod, cum personae ecclesiasticae ad ecclesiasticas dignitates aut ad ecclesias parochiales vacantes, vel ad alia quaecumque beneficia ecclesiastica, et quilibet clerici, regulares vel seculares, comitatus et dyocesium praedictorum presentari non valeant venerabilibus patribus, propriis episcopis, seu eorum vicariis, ut institutionem canonicam et ordines consequantur, et causae eorum 1914D matrimoniales et aliae quaecumque spirituales . . . . . . .

Cependant les evénements, qui se précipitent vers un dénoûment trop prévu, ne laissent point à Boniface VIII le loisir de donner à la Flandre, libre et indépendante, ces évêchés qu’elle recevra, deux cent soixante ans plus tard, de la domination espagnole. Philippe le Bel, qui a longtemps dissimulé, Philippe le Bel, que Guillaume de Nogaret dépeignait comme une personne humble et bénigne, miséricordieuse et douce, pleine de religion, animée du zèle de la foi, tout entière aux prières, à la patience 1915A et à la modestie, ne se vante plus de ne pas savoir se venger.

Le 14 juin 1303, dans une assemblée convoquée dans l’église de Notre-Dame, il reçoit, non plus comme roi, mais comme champion de la foi et comme défenseur de l’Eglise (Henri VIII invoqua aussi ce titre au XVIe siècle), l’acte d’accusation où Guillaume de Plasian reprochait au pape d’avoir voulu réunir la puissance temporelle et la puissance spirituelle. Les députés des trois ordres de l’Etat entendirent l’énumération de tous les chefs d’accusation, la plupart si infâmes qu’on ne peut los reproduire: puis le petit-fils de Louis IX, dont ce même pape Boniface VIII avait proclamé la béatification , déclara que, bien qu’il eût voulu, fils 1915B respectueux, cacher au peuple la nudité de Noé, il se trouvait obligé, par sa conscience, de déférer au voeu formé par Guillaume de Plasian, pour la convocation d’un concile qui jugerait le pape. Les évêques présents adhérèrent après un peu d’hésitation . Une seule voix s’était élevée avec courage pour défendre l’honneur de la papauté et pour protester contre l’usurpation sacrilége des droits et des libertés de l’Eglise: ce fut celle de l’abbé de Cîteaux. Philippe le Bel, qui était décidé à ne s’arrêter devant aucun obstacle, ne respecta ni sa pieuse conviction, ni sa courageuse persévérance. Tandis que le roi faisait publier une sentence de mort contre tous les ecclésiastiques qui sortiraient de France, parce qu’il avait besoin de leurs services 1916A dans sa guerre de Flandre, tandis que la même peine était commuée contre les officiers royaux qui ne s’y opposeraient point, le chef illustre de l’ordre le plus puissant de l’Europe était traîné aux tours du Châtelet, que gardaient quatrevingts sergents à cheval et quatre-vingts sergents à pied, c’était, sans doute, ce que le roi appelait, de même que lorsqu’il avait fait arrêter l’évêque de Pamiers: offrir à Dieu le meilleur de tous les sacrifices par la voie de justice.

Boniface VIII voulut honorer le dévouement de Jean de Pontoise, en lui accordant deux priviléges qui passèrent à ses successeurs: le premier était de sceller en cire blanche, le second était de placer sur son sceau l’image du pape, assis dans la 1916B chaire de saint Pierre, et revêtu des ornements pontificaux, et Boniface VIII expliquait ce privilége par ces paroles mémorables adressées à Jean de Pontoise: Mecum sedisti, mecum sedebis! Enfin, lorsque Sciarra Colonna, caché quelque temps chez l’usurier florentin Musciato Francesi, autre complice de l’avidité et de la violence de Philippe le Bel, pénétra dans Agnani en criant: Mort au pape! on y trouva la bulle Super Petri solio, où la captivité de l’abbé de Cîteaux était mentionnée parmi les attentats qui appelaient sur le roi de France les foudres de l’Eglise.

Boniface VIII ne survécut que quelques jours à l’attentat d’Anagni. Ses contemporains l’avaient accusé d’ambition et d’avarice: il s’était réhabilité 1917A aux yeux de la postérité, en offrant au martyre un front chargé de quatre-vingt-six années. A peine la tombe est-elle ouverte pour lui, que le comte de Flandre et l’abbé de Cîteaux l’y suivirent. Il semble que le dernier représentant de la puissance temporelle de la papauté ait entraîné avec lui les derniers représentants de la puissance des grands vassaux et des ordres religieux.

Gui de Dampierre acheva ses jours dans la tour de Compiègne, et ce fut dans une abbaye de l’ordre de Cîteaux qu’il reçut la sépulture.

Jean de Pontoise avait déjà cessé de vivre. Plus heureux que Gui de Dampierre, il avait vu s’ouvrir les portes de sa prison, et le continuateur de Guillaume 1918A de Nangis raconte qu’il avait abdiqué la dignité abbatiale pour préserver son ordre des funestes conséquences du ressentiment du roi. Cependant le souvenir de sa sainteté et celui de son courage se conservèrent entourés de respect, et il fut inscrit dans le martyrologe des bienheureux de Cîteaux, où l’on a résumé, en quelques mots, l’histoire de sa vie: Per multos labores et varia rerum discrimina, ad pietatis monasticae fastigium, indefesso studio, ascensus.

C’est à peu près ce que la chronique des Dunes dit aussi de l’abbé Jacques de Biervliet, mort vers le même temps que Jean de Pontoise, et réduit, comme lui à se démettre de son autorité: Senio et 1919A tonga aegritudine fractus, et cette plainte suprême, aussi vraie pour l’abbé de Cîteaux que pour l’abbé des Dunes, pour le pape que pour le comte de Flandre, n’est que l’histoire de la fin du 1920A XIIIe siècle, ce siècle remarquable entre tous ceux du moyen âge par sa science et sa gloire, ses vertus et son génie.

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